Dossier: Permaculture humaine

par Sarah Maria

“Entre ce que je pense, ce que je veux dire, ce que je crois dire, ce que je dis, ce que vous voulez entendre, ce que vous entendez, ce que vous croyez en comprendre, ce que vous voulez comprendre et ce que vous comprenez, il y a au moins neuf possibilités de ne pas se comprendre.”

Bernard Werber

  Introduction Dans la vie en communauté, ce n’est pas tant de bâtir des maisons écologiques ou de savoir jardiner qui est difficile. Ce sont les rapports humains, miroirs qui finissent invariablement par nous confronter à nos peurs, à nos préjugés, à nos faiblesses. Habitant de façon communautaire depuis quatre ans, je crois qu’il est important d’envisager la vie en communauté avec réalisme, c’est-à-dire être prêt-es à s’engager dans le travail sur soi que ça implique. “Avec un minimum d’imagination, de savoir, de bon vouloir et d’énergies disponibles en quantité et en qualité, construire un village alternatif, le rendre fonctionnel et même raisonnablement productif, n’est pas improbable. Les expériences communautaires les plus signifiantes (…) ont prouvé sans équivoque que la vraie difficulté, l’obstacle, ce sont les relations humaines.1” Il est important avant de s’engager dans ce voyage d’avoir une certaine autonomie au niveau émotif et spirituel. C’est d’ailleurs un des pré-requis dans plusieurs écovillages déjà existants, comme on peut le lire dans certains points des engagements communs de Findhorn : 3. Croissance personnelle : Je m’engage à l’expansion de la conscience humaine, incluant la mienne 4. Je m’engage à tenir des hauts standards d’intégrité personnelle 6. Je m’engage à communiquer de façon claire et honnête avec une écoute ouverte, des réponses senties, de la compassion et véracité 7. Je reconnais que tout ce que je vois à l’extérieur de moi-même (…) peuvent être le reflet de ce qui se passe à l’intérieur de moi 8. Je prends la responsabilité pour mes actions et mes erreurs C’est facile de porter des belles valeurs lorsqu’elles sont soutenues par le groupe, mais si elles ne sont pas ancrées à l’intérieur ça devient périlleux. À ce moment, les projections familiales peuvent être contrôlantes et gérer nos rapports humains sans qu’on s’en rende compte. Donc, avant de tout quitter, des prérequis deprise de conscience sur soi-même, des expériences d’auto-analyse et de vie en communauté ou du travail spirituel de groupe s’avèrent selon moi nécessaires: “nettoyer nos circuits est un rite de passage inévitable” Les annees 70 Je n’étais pas née ou à peine gazouillante, mais j’ai vécu un an en communauté. Après en avoir parlé longuement avec plusieurs habitants de ces communautés et avoir lu sur le sujet, je trouve important de tout remettre en contexte. C’était la suite d’un refus global, les prises de conscience collectives, la révolte contre le pouvoir abusif du clergé et l’Autorité, l’expérimentation de drogues modifiant les perceptions. Avec l’arrivée de la pilule anti-conceptionnelle, les femmes se libéraient de la soumission de l’Eglise, c’était la libération sexuelle pour tous. Les portes s’ouvraient sur un nouveau monde de perceptions, sur la spiritualité orientale, mais tout était un gros “melting-pot” d’expérimentations. C’était un appel de retour à la terre, aux choses simples, en même temps qu’un gros party pour certain-es. Et vu l’idéal anarchiste, c’est-à-dire sans lois ni État, les structures existantes étaient moindres. Donc les un-es payaient la fête des autres. L’éveil de la conscience se faisait parfois en groupe, donc la thérapie se faisait une fois rendus en communauté, “pognés-es les uns avec les autres”, sans nécessairement d’expériences d’auto-analyse déjà ancrées dans les habitudes personnelles. Et les communautés des années 70 n’autorisaient souvent aucun leadership-mais il était présent de toute façon, officieusement, souvent par la manipulation et les luttes de pouvoir des plus grosses têtes, êtres spirituels charismatiques ou des propriétaires terriens. Je suis loin de dresser un portrait négatif de ces communautés, au contraire… le mouvement de prise de conscience était tellement grand, ce devait être merveilleux de se sentir dans ce courant d’Unité. Mais ce sont des portes qui s’ouvraient pour la première fois, ce qui explique peut-être pourquoi la plupart de ces communautés n’ont pas continué, notamment celles au Québec. Les communautes au Quebec Si on fait le tour des communautés au Québec, les difficultés soulevées le plus souvent sont encore une fois les relations humaines. Certains problèmes économiques, division des terres mal clarifiée, nouveaux besoins familiaux ou vision globale plus ou moins partagée, ont été des déclencheurs de déchirements entre les membres, mais auraient pu être des outils d’évolution si les relations humaines avaient été harmonieuses et si des structures avaient été mises en place pour les favoriser. Le manque de structures favorise parfois le parasitisme et l’indolence : “les dangers de la ligne dure, de l’autorité, de la mentalité ascétique(…) ne sont pas pires que les dangers de l’avachissement.3” Souvent les plus motivés nourrissent ceux qui prennent sans donner, il y a aussi le fait d’être constamment en état de conscience altérée qui favorise le moment présent mais empêche les relations durables. Un autre défi vécu dans plusieurs communautés, dont la plus prolifique au Québec, c’est la sexualité ouverte. Les échanges de couple ont divisé plus d’une communauté. A quel point sommes-nous prêts à vivre nos idéaux de détachement, de sexualité ouverte, initiatique et transformatrice, de façon concrète à long terme - sans que ça devienne un théâtre de déchirures émotionnelles ? A l’époque, la coupure avec l’idée de la sexualité-péché venait juste de se faire, c’est normal que les conditionnements de centaines d’années aient vite repris place ! Ce qui ressort de façon certaine, c’est que “au cours de ces expériences, on a beaucoup exagéré ou mal interprété encore une fois les concepts de liberté, égalité, fraternité. On a péché par idéalisme 4.” Structures et relations humaines Beaucoup de questions sont soulevées par ces expériences d’avant. Je crois que les communautés de maintenant se servent des expériences passées pour fonder des assises plus stables. Elles sont structurées pour la plupart et ont pour désir de vivre en écovillage à long terme et de protéger la terre de façon consciente. Elles sont donc plus prudentes et voient les structures organisationnelles comme une méthode de préserver des relations plus légères entre les membres. Prenons l’exemple de Sirius, une communauté fondée en 1978 par des activistes en réaction contre les systèmes hiérarchiques autoritaires. Tout le monde avait le même droit de parole et le consensus était le seul mode décisionnel accepté. Cela a très bien fonctionné en petit groupe.  Lorsque les nouveaux sont arrivés après plusieurs années, ils ne connaissaient pas la vision commune du groupe, ni tout le travail mis par les anciens à bâtir la communauté. Le fait qu’ils puissent avoir le même pouvoir décisionnel que les autres a généré beaucoup de conflits. Gordon et Corinne, les co-fondateurs de Sirius, ont alors réalisé qu’une structure était nécessaire sans qu’elle soit oppressante, tournée plutôt vers la responsabilité et la compassion. Le principe d’autorité est maintenant lié à la responsabilité dont les membres ont fait preuve à travers le temps et si une équipe rotative de neuf personnes gère les questions les plus importantes et fastidieuses, les membres se réunissent quand même une fois par semaine pour décider de plusieurs questions par consensus. Il s’agirait alors de trouver un équilibre entre l’idéal et l’endroit où nous sommes rendus, êtres divins incarnés dans des corps humains conditionnés par des idées patriarcales de compétition et de domination qui nous rendent souvent égoïstes. Donc d’être réalistes envers nous-mêmes, de savoir se doter d’un bon coffre à outils. Des outils de gestion et de communication Puisque les distorsions relationnelles se créent souvent dans les processus décisionnels de groupe, des outils sont nécessaires pour avancer. Que ce soit le colimaçon ou l’aquarium (lire Les Bâtisseurs de l’Aube), les cercles de parole ou la recherche de consensus, les moments de méditation en silence où l’on écoute notre intuition sont vraiment bénéfiques pour la santé de la communauté. Dans les cercles de parole de l’écovillage Sieben Lieden, en Allemagne, ils essaient d’établir un consensus de la façon suivante : lors d’une discussion piquante, ils réduisent le groupe aux personnes qui tiennent les positions extrêmes. Ces dernières essaient d’établir un consensus, puis reviennent ensuite en grand groupe.  Ils suivent aussi certaines règles qui réduisent les jeux de pouvoir et l’abus du droit de vote, par exemple: 1. Les membres non concernés par une décision ou qui ne sont pas prêts à porter cette décision, n’ont pas le droit de vote. 2. Les membres qui n’assistaient pas aux plénières précédentes n’ont pas le droit de vote. D’ailleurs, le vote peut toujours être révisé selon le contexte5. Huehuecoyotl, un écovillage situé au Mexique qui intègre des approches de bouddhisme tibétain, de chamanisme et de yoga, utilise d’autres trucs intéressants au niveau de la communication. Ils pratiquent le Re-evaluation Counseling, une technique qui encourage l’écoute compassionnelle pour comprendre ce qui, dans notre histoire personnelle, nous pousse à réagir si intensément aux opinions et actions des autres. Ils ont aussi un cercle composé des anciens qui partagent leur sagesse. Le Forum, développé par la communauté Zegg, me semble aussi digne de mention. Dans cette forme de communication, le membre individuel, se plaçant lui-même au milieu d’un cercle formé d’autres membres de la communauté, partage ses pensées, ou s’imite lui-même avec ses questions. Le cercle de membres qui l’entourent se met dans un état de perception holistique, gardant une sérénité intérieure et donnant des réponses supportantes et sans jugements. Le fait de vivre des moments de guérison ensemble, de créer des espaces méditatifs de groupe, des partages de musique, des instants de jeu et de folie, sont autant d’outils pouvant servir à entretenir la légèreté et l’unité. Permaculture humaine Dans ce dossier, on peut également s’inspirer de la permaculture. La permaculture est une manière de vivre et d’aménager le territoire qui est à la base de plusieurs écovillages, que l’on parle de Cristal Waters en Australie ou d’autres en Europe et aux Etats-Unis. Le concept de la permaculture a été développé par Bill Mollison, en Tasmanie. (Voir article sur la Permaculture , Aube nº 5) Ce dernier avait comme précepte premier de travailler avec la nature plutôt que contre elle. La permaculture est un système qui désigne l’habitat et les cultures, pour permettre l’expérimentation d’un “ensemble évolutif, intégré, d’auto-perpétuation d’espèces animales et végétales 6 ” afin que l’endroit que l’on aménage ressemble le plus possible à un milieu naturel permanent et autofertile. Mais quel rapport avec les relations humaines ? Cette même idée, d’expérimenter des modes de communication naturels qui permettent à l’individu et au groupe de s’épanouir, de façon évolutive et permanente, peut être appliqué en groupe. Certains principes de la permaculture peuvent donc être très pertinents : Modifier le moins possible la nature Faire avec ce qui est déjà là au lieu de chercher à changer les autres parce qu’ils ne ressemblent pas à ce qu’on voudrait qu’ils soient, et réaliser que leurs comportements sont des tremplins à notre propre évolution. Avoir au moins trois raisons d’agir Avant de s’engager dans une relation de travail ou de communauté à long terme, ces trois raisons peuvent nous être bien utiles ! De plus, avant de dire son opinion dans un cercle, mûs par l’émotion qui nous pousse à argumenter, ces trois tours de langue peuvent calmer les vapeurs d’impulsion ! Économiser l’énergie sous toutes ses formes Reprendre le temps de se centrer avant  de disperser son énergie dans une discussion ou des réflexions à n’en plus finir, teintées souvent d’émotions incomprises. Tout sert à quelque chose, le déchet de l’un est la matière première de l’autre Donc, encore une fois, de savoir revenir à soi et comprendre pourquoi notre être profond cherche à vivre cette expérience. La clef pour vivre des relations saines et harmonieuses, ce serait de comprendre que tout part de soi. Pourtant, remplacer la compétition par la compassion, la peur par l’amour, atteindre l’équilibre entre le yin et le yang demande un travail sur soi. C’est une raison fréquente de quitter une communauté: trop de travail à faire sur soi pour s’harmoniser avec les autres. Selon moi, nous sommes tous unis, indépendamment de l’illusion de la différence. Ce qu’on voit des autres est la projection de notre propre perception de nous-mêmes. Je crois donc que des individus conscients d’eux-mêmes, capables de dédramatiser les situations et avec des outils de communication constructifs, peuvent former des communautés harmonieuses. Des endroits où l’on s’aide mutuellement à s’épanouir. Petit exercice mental Jan Martin Bang, de la communauté Solborg de Norvège, propose les questions suivantes pour s’enligner au niveau social dans la communauté: comment voyez-vous votre communauté, un groupe serré ou une association d’individus ? Quel est votre niveau de partage ? Quel est votre désir de privé ? Petite conclusion personnelle Sur ces questions, je conclus en exprimant qu’un jour nous n’aurons même plus besoin de ces outils de communication ou de modèles de gestion établis, en êtres conscients, intuitifs et ouverts. Mais en attendant, peut-être nous faut-il reconnaître d’où on vient, notre bagage de conditionnement familial et social. Oui, trouver des manières alternatives de vivre, tout en reconnaissant que c’est la société, aussi désaxée peut-elle être,  qui nous a nourris et qui nous entretient. Donc se donner le temps, adopter des modèles de transition, et surtout, réactualiser. Être capable de créer des règles sans qu’elles soient stagnantes et immuables. Savoir reconnaître des leaders naturels tout en en formant d’autres. Ne pas être en réaction contre l’autorité (avec tout ce qui se passe, c’est pas toujours facile !) mais plutôt savoir reconnaître notre propre altérité intérieure. Développer son individualité créatrice et spirituelle en se rendant compte de notre individualité conditionnée inconsciente, le rôle qu’on porte et qui nous écrase en nous empêchant de nous ouvrir aux autres, à de nouvelles expériences, à de nouvelles réalités.   Références:  What Works, Geoph Kozeny, Communities no 82, p.18 Sirius : Honoring Leadership, Diana Leafe Christian, Communities, no 85, p.45 Manifeste Alternatif, Michèle Favreau et Pierre Bédard, Éditions Mainmise-TRIK, 1977 Ecovillage Living, Restoring the Earth and her People, textes édités par Hildur Jackson et Karen Svensson Les Bâtisseurs de l’Aube, Gordon Davidson et Corinne McLaughlin, Editions Le Souffle d’Or Cours de Permaculture printemps 2003, Fondation RHA, Grégoire Lamoureux et d’autres Et puisque les gens sont plus importants que les livres, avec la collaboration de Manuel-Solidage, Pierre, Bernard, Lilianne et Raddhé, Francois, Mario et plusieurs autres. 1 Manifeste Alternatif, Michèle Favreau et Pierre Bédard, Éditions Mainmise-TRIK, 1977, p.137 2 idem p.139 3 idem p.144 4 idem p.165 5 Ecovillage Living, édité par Hildur Jackson et Karen Svensson, p.91 6 Cahier du Cours Design en permaculture printemps 2003, Fondation R.H.A.,

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