La Famille « Arc-en-ciel » ou la manifestation du désir de retribalisation

par Pascalô Vallières À une époque où les voies politiques semblent monopolisées par les partis traditionnels, les discours officiels axés sur la productivité, l’économie et le capital, la nature envisagée comme une ressource à exploiter et l’Église catholique en constante perte de vitesse, diverses constructions culturelles tendent à émerger. En ce sens le mouvement Arc-en-ciel, que je tenterai de vous présenter à travers ce court article, est caractéristique des métissages et des formes composites de la contre-culture occidentale. En réaction à l’individualisme croissant et au désenchantement ambiant, le mouvement Arc-en-ciel se pose également comme un espace de création collective où se mettent en pratique des expériences communautaristes qu’on pourrait être tenté d’associer à un projet utopique. Dans ce cas précis, j’utilise le concept de “tribu écotopique” dans la mesure où le mouvement est porteur d’un projet communautaire de retribalisation et de réharmonisation avec les éléments de la nature. Constituant un espace de recomposition spirituelle en lien avec les éléments naturels, je crois qu’il serait approprié d’en parler en termes d’éco-spiritualité. Ainsi, le mouvement transnational qu’est l’Arc-en-ciel constitue un lieu de circulation et de réinterprétation de différentes pratiques culturelles. Par la forte mobilité de ses participants, les rassemblements deviennent ainsi des lieux de métissages et d’amalgames culturels où l’on se donne le loisir de se réapproprier tant un mantra tibétain qu’un rituel autochtone, un chant hébreu ou une recette indienne. Le caractère hétéroclite de ces pratiques entraîne ainsi un bricolage complexe et fascinant à la fois, caractéristique d’une modernité en redéfinition, en quête de sens. Porté par des idéaux écologiques et des pratiques spirituelles, ce projet se présente, pour les acteurs sociaux qui le mettent en œuvre, comme une alternative inévitable dans le contexte actuel de la menace posée par l’activité humaine sur l’environnement. À travers la formation des nouvelles familles d’affinités, le mouvement Arc-en-ciel participe à une entreprise de “retribalisation” dans la mesure où la fraternité et la vie communautaire et harmonieuse constituent pour ses participants l’unique planche de salut de l’humanité de demain. Oeuvrant dans une perspective “intégrationniste”, le mouvement Arc-en-ciel exprime une volonté de fusionner des mythes et des symboles du monde entier tout en prônant un retour à un mode de vie écologique et aux grandes racines spirituelles de l’Humanité. Ainsi, à l’été dernier comme à chaque année depuis dix-sept ans, se déroulait le rassemblement de la Famille Arc-en-ciel Kwebekwe, réunissant sans distinction politique le Québec, l’Acadie et la nation amérindienne Anishnabe. Ces grandes assemblées écospirituelles prennent lieu sur des terres publiques et ce, à travers différentes régions du Québec. D’autres rassemblements ont également lieu aux États-Unis et ailleurs dans le monde tout au cours de l’année. Donc, en ce juillet de 2003, c’était à quelques kilomètres du village de Franquelin, dans la région de Manicouagan-Côte-Nord, que la bande de joyeux lutins avait décidé de planter les perches du tipi cérémoniel et d’installer son campement provisoire qui allait devenir, l’espace de quelques semaines, un lieu où l’on partage le rêve d’un monde autrement, en expérimentant un mode de vie communautaire, dans un esprit de respect, d’harmonie, de fraternité et de contact authentique avec la nature. Bref historique du mouvement Arc-en-ciel On pourrait faire remonter le mouvement à la contre-culture des années 1960, mais cela serait passer sous silence les nombreuses expériences communautaires et utopiques qui se déroulèrent aux États-Unis au cours du XIXe siècle, principalement entre 1826 et 1860. Plus d’un siècle plus tard, le phénomène hippie émergera en se réappropriant les pratiques utopiques de manière spectaculaire. Se développant dans un contexte socio-politique tendu (guerre froide, guerre du Viêt-Nam, mouvement d’émancipation des Noirs, etc.) la contre-culture visait à démontrer son rejet de la culture de la société industrielle ainsi qu’un refus catégorique du conformisme. La nouvelle génération de communau-taristes, ayant puisé ses sources d’inspiration aux quatre coins de la terre à travers des lectures et des voyages initiatiques, exprimait ainsi une forme de néo-tribalisme. La rencontre de la contre-culture et du mouvement écologique s’effectue notamment dans les croyances, le mode de vie alternatif, les pratiques culturelles, etc. Une entreprise de resacralisation tente de se mettre en place, puisant à travers le néo-paganisme et l’orientalisme en passant par l’écologie. Le début des années 1970 verra la formation du mouvement Arc-en-ciel ou des Rainbow Tribes, partageant l’idéologie et la conscience arc-en-ciel. La genèse du mouvement remonte aux lendemains du Woodstock Music and Arts Festival alors que des groupes communautaires s’étaient réunis à Portland en septembre 1970, pour assister au festival Vortex. Deux tipis aux couleurs de l’arc-en-ciel servaient alors d’espace de coordination des activités. L’idée de fonder la Famille Arc-en-ciel (Rainbow Family) allait naître à partir de ces tipis colorés. Des communautés de différents États convergèrent alors pour former ce qui allait devenir une seule et grande famille. Ils s’embarquèrent dans ce qu’ils qualifiaient de “quête de vision”, de façon à matérialiser la “vision” qu’ils avaient d’organiser un grand rassemblement pacifique, dont la première rencontre allait se dérouler au Colorado, en juillet 1972. Le matin du 4 juillet de cette même année, alors que le pays était en liesse pour célébrer le patriotisme américain, des milliers de personnes se réunirent en grand cercle pour entamer une méditation silencieuse pour la Paix mondiale. Depuis, cette tradition de “Rassemblement Arc-en-ciel de Paix et de Guérison des Tribus ” se perpétue chaque année sur les terres publiques à travers le pays. L’expérience de 1972 fut l’occasion de pratiquer l’art de la vie en communauté, à travers des modes d’organisation non-hiérarchique. La notion de fraternité humaine étant centrale dans l’idée du rassemblement, les participants allaient désormais se considérer frères et sœurs de la même grande “Famille Arc-en-ciel de Lumière Vivante”. Selon les récits de l’époque, les gens auraient alors pris conscience qu’ils assistaient à la naissance d’une “nation planétaire” d’où une nouvelle conscience collective allait émerger. Il fut entendu qu’une unité spirituelle fondamentale avec toutes les formes de vie était nécessaire pour tendre vers l’harmonie. Ainsi, les traditions sacrées amérindiennes allaient servir à guider cette nouvelle sensibilité. La Famille Internationale se rencontrera au Québec l’été prochain Au cours des trente dernières années, le mouvement Arc-en-ciel a connu un développement remarquable, correspondant maintenant à un réseau mondial regroupant de multiples communautés, organismes et associations oeuvrant dans une perspective de coopération planétaire. L’un des co-fondateurs de la Famille Arc-en-ciel Kwebekwe remarquait qu’une bonne relève était en train de se constituer depuis ces dernières années: “Celle-ci est assez solide pour assurer une croissance du mouvement. La tribu est maintenant capable de s’organiser.” Alors qu’elle se trouve sur une pente ascendante depuis les dernières années, elle se prépare maintenant à accueillir l’été pendant l’été 2004 la grande Famille internationale lors du “Rassemblement Arc-en-ciel - Un seul Monde de l’île de la Tortue”. Une nouvelle page de l’histoire de la Famille Kwebekwe s’écrira alors que des frères et sœurs de partout à travers le monde convergeront pour partager cette conscience planétaire et ce projet d’une humanité solidaire et unie à la Terre. À nous maintenant de participer à préparer cette rencontre planétaire qui arrive à grands pas! Cet article représente un condensé d’une recherche anthropologique effectuée lors du rassemblement de 2003. Intitulé “ La Famille Arc-en-ciel de Lumière Vivante ou l’archétype de la tribu écotopique ”, cet essai compte 119 pages et sera disponible en ligne sur le site mentionné ci-dessus. Remerciements à tous ceux qui ont généreusement partagé leurs visions avec moi.

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