Autoconstruction, écovillage et sens de la vie

par Laurier Aubé Faute de n’avoir pu trouver un écovillage quelque part pour tenter de repenser et de réorganiser la vie de façon différente, je me suis tout de même orienté vers une plus grande autonomie face à notre monde de consommation. Quitter la ville pour m’installer en forêt (pas trop loin quand même): voilà ce que j’ai fait il y a vingt et un ans. Squatter un terrain sur les terres de la couronne - je suis maintenant dans la légalité - pour y construire mon propre habitat, faire ma propre électricité au moyen de capteurs solaires et d’une génératrice durant les longues absences de soleil en hiver. Y faire pousser quelques légumes, y puiser mon eau à une source tout près. Couper et fendre suffisamment de bois de chauffage pour garder la maison chaude douze mois par année. Construire un petit atelier afin de pratiquer mon métier non lucratif d’artiste-peintre-sculpteur. Et à travers tout ca, prendre un peu de temps pour lire et réfléchir dans le but de trouver réponse au pourquoi des choses et tenter de percer le mystère de la véritable signification de notre bref passage sur terre. Quel bonheur que de prendre sa hache et son «bow saw» un bon matin pour aller abattre des arbres qui serviront de murs à son propre gîte! Puis installer un poêle à bois qui assurera la chaleur de la maison en tout temps de l’année, tout en servant d’élément chauffant à ces bons petits plats longuement mijotés, miam! miam! Aller puiser de l’eau de source qui servira à cuisiner, prendre le bain, laver le linge, laver la vaisselle, etc. Toutes ces activités qui nous assurent la satisfaction de nos besoins de base peuvent se faire de façon toute simple, à un coût très minime et ce, avec très peu d’impact sur notre environnement. Se retrouver dans une situation où tout est à faire, tout est à construire nous oblige à agir afin d’assurer notre survie et, du même coup, nous fait réaliser le potentiel insoupçonné de créativité que nous portons en nous. Avec un peu d’argent permettant l’achat de matériaux de base: bois, clous, vis, etc. et quelques outils, un peu d’imagination et beaucoup de motivation, c’est surprenant tout ce que nous pouvons construire de nos propres mains. De plus, fabriquer les choses soi-même apporte une très grande satisfaction et augmente l’estime de soi, ce qui constitue un facteur de bonheur. Armoires, meubles, escaliers, bref… Tout l’aménagement intérieur de mon habitat je l’ai fait de mes propres mains. Et pour l’artiste que je suis, cet endroit est l’idéal pour quiconque veut créer tout en n’étant pas trop préoccupé par la nécessité absolue de gagner de l’argent. Vivre dans la nature c’est décompliquer les choses, c’est faire un retour vers la simplicité, vers l’essentiel. C’est se rapprocher du vrai. Mais l’homme a édifié un monde hyper complexe, hyper réglementé, basé sur la recherche du profit et de l’accumulation et non sur le bien-être et le bonheur des individus. Il y a des lois et des règles pour tout et ce, avec une multitude de spécialistes qui décident pour nous. Ainsi notre marge de liberté et d’action à travers tout ça demeure mince. De plus, nous sommes sollicités de toutes parts pour consommer. Notre monde nous donne accès à une multitude d’objets et de services souvent non nécessaires et parfois même inutiles, servant d’anesthésiant à notre difficulté d’être. Dans notre société de l’avoir et du paraître où la publicité est reine, nous sommes entraînés vers l’extérieur de nous-même, ce qui nous coupe de notre profondeur et conséquemment, du potentiel insoupçonné de créativité et de bonheur que nous portons en nous. La construction d’écovillages peut représenter une alternative intéressante pour ceux à qui le mode de vie actuel ne convient pas et qui cherchent d’autres avenues afin d’orienter leur vie différemment. Vouloir réorganiser la vie, le monde d’une façon plus saine, plus épanouissante, plus respectueuse, plus égalitaire, plus écologique, n’est-ce pas un projet noble? Mais connaissant la nature humaine, il nous faut être prudents quant à la possibilité de réussite à long terme. Des expériences ont été tentées durant les années 1970, à l’époque de la contre-culture, que l’on a appelées les communes. Mais, hélas! la plupart se sont dissoutes. La construction d’écovillages doit se faire sur des bases solides en n’oubliant pas un aspect qui me semble essentiel, c’est-à-dire celui des humains qui habiteront ces villages et les feront fonctionner. Leur bon fonctionnement dépendra de la qualité des individus qui les habiteront. Pour qu’un tel projet soit réalisable, une certaine maturité des personnes doit être nécessaire, du moins en ce qui concerne les dirigeants. En effet, la principale difficulté rencontrée lorsqu’il est question de regrouper des gens pour un quelconque projet reste celui des relations humaines. La nature humaine est complexe. Nous sommes des êtres conflictuels remplis de contradictions. Chacun a son petit ego formé de désir, de peur, de colère, d’envie, de culpabilité, de possessivité, de jalousie, de haine, de frustration, d’agressivité, etc. Un travail de connaissance de soi, de conscientisation doit être fait afin de mieux gérer ces forces inconscientes qui nous habitent et motivent une bonne part de nos comportements. Les humains auront beau se donner les structures sociales les plus justes possibles, si les êtres qui en font partie ne changent pas de l’intérieur, l’histoire ne fera que se répéter. La source des guerres prend sa racine au cœur de l’homme et c’est à ce niveau qu’il faut travailler, celui de la purification du cœur. Je crois donc que les changements doivent se faire à deux niveaux: les structures sociales et la connaissance de soi, changer son cœur, changer son être, éveiller sa conscience. De plus, il n’y a pas de société idéale où il n’y aurait plus de problème, plus de conflit, plus de souffrance, etc. Nous sommes sur terre pour apprendre et cet apprentissage se fait souvent à travers les difficultés et les épreuves. La condition humaine est difficile, imparfaite, soumise aux changements et à l’impermanence de toutes choses. L’homme est enclin à l’aveuglement, à l’illusion et à l’erreur. Nous sommes d’éternels insatisfaits, motivés par le désir de trouver le bonheur dans les choses extérieures. Je pense que le travail sur soi, le parcours intérieur et la croissance de l’être sont le véritable sens de notre bref passage sur terre. Et ce, afin d’évoluer vers plus de conscience et de sagesse. Tout en sachant que travailler dans la matière c’est une façon indirecte de travailler sur soi-même. L’humanité actuelle, si elle veut survivre, doit effectuer un retour vers l’être et faire l’équilibre entre avoir et être. La misère du monde actuel n’est que le reflet de notre propre misère intérieure: celle de notre incapacité à se connaître en profondeur et à faire jaillir de nous conscience, sagesse et compassion. Pour terminer, j’aimerais citer monsieur Jacques Languirand qui disait ceci: «Dans le passé ne survivaient que les plus forts, mais dans le futur ne survivront que les plus sages.»

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