Chronique des métiers d’antan : Le coureur des bois

par Frère Ours Le voyageur des pays d’en Haut  La Nouvelle-France, ces vastes étendues sauvages de forêts luxuriantes. Encore vierges pour les Européens colonisateurs, habitées par les autochtones, les peaux-rouges. Ces sauvages qui ont déjà beaucoup aidé avec leur grande connaissance de la nature  (la gomme de sapin pour le scorbut, etc.). Que d’aventures et de péripéties il a fallu avant la constitution de notre grand pays. Peut-être avez-vous déjà rêvé, comme moi,  de devenir un de ceux qui ont exploré pour la première fois ces immenses territoires, ou bien celui qui vivait avec les amérindiens, et apprenait leur langue et leurs coutumes. «Daniel Boone c’est son nom, on le chante… »  Pourtant, la vie de coureur des bois n’était pas toujours une partie de plaisir. Plusieurs y ont laissé la vie. Mais notre histoire a cependant marginalisé le coureur des bois, au profit des gouverneurs à perruque poudrée, pendant que nos voisins du Sud construisaient un mythe autour de leurs cow-boys, chasseurs de bisons et tueurs d’Indiens. Voici un bref survol de cet univers sauvage qui a longtemps nourri notre imaginaire. En espérant redorer le blason de ces hommes,  amants de la nature et assoiffés de liberté, car sans eux, il n’y aurait pas eu de Pays. «Le couteau à la main, il n’a peur de rien, en parcourant l’Amérique…» Le terme coureur des bois, synonyme de voyageur, apparaît seulement en 1672, mais ce métier, typiquement canadien-français, existait bien avant. À Québec, le gouverneur Champlain, fonde un premier comptoir de fourrures, le 3 juillet 1608. Mais il désire installer en Nouvelle-France, une colonie de commerce permanente, contrairement à plusieurs nobles européens, qui voient la colonie seulement comme un immense poste de traite. En 1610, au lendemain d’une victoire des Français et de leurs alliés hurons sur les Iroquois, Champlain envoie Étienne Brûlé, un jeune parisien fraîchement débarqué, et qui n’a pas encore 20 ans, vivre avec les amérindiens (les Hurons) durant toute une année. Il avait l’idée de former des interprètes pour améliorer ses liens avec les autochtones. Champlain eut en retour, un jeune huron sensiblement du même âge qu’Étienne, nommé Savignon. Étienne Brûlé fut le premier européen à franchir l’obstacle naturel des rapides de Sault-Saint-Louis (les rapides de Lachine) et à pénétrer en Huronie. À son retour à  Québec, en 1611, Champlain reconnaît à peine le jeune. Vêtu de peaux de chevreuils aux couleurs amérindiennes, Étienne connaissait maintenant les coutumes des peaux-rouges, et le plus important, il parle parfaitement leur langue. Devenant ainsi le premier « Truchement » ou interprète, de la Nouvelle-France, et par le fait même, le premier coureur des bois officiel. Il passa de nombreuses années à parcourir le pays.  Allant toujours plus loin, au péril de sa vie, il  franchit  les territoires iroquois, descendit la rivière Sasquehana  jusqu'à  la Baie de Chesapeake. Foulant ainsi le premier, le sol de la future Pennsylvanie, et fut également le premier européen à voir les grands Lacs. Il eut malheureusement une fin tragique, en devenant le premier blanc torturé et dévoré par les amérindiens. Il constitue un exemple frappant de la fascination qu’exerçait la vie libre des indiens, sur la jeunesse française, au premier siècle de la colonie. Pierre-Esprit Radisson fut également un célèbre coureur des bois. Né en France en 1640, il fut capturé par les Iroquois à l’âge de 12 ans.  Il développa une drôle de relation avec ses captifs. Un mélange  d’amour et de haine. Libéré en 1654, il commença sa vie de coureurs des bois, avec une grande connaissance des langues iroquoises et de leurs coutumes. Plus tard, à l’aide de son beau-frère, Médard Chouart Desgroseillers, en voyant la réserve de fourrures  presque inépuisable de la Baie d’Hudson, il  fonda la compagnie du même nom. Il y eut aussi Joliette, Lavérendry, Cavalier de Lasalle et des centaine d’autres, à faire la course des bois. Chacun, à sa manière, a contribué à la naissance d’une nation. Ils ont joué le rôle de traducteurs-interprètes (ou truchement), ils ont fourni une multitude d’informations sur la géographie du territoire, et ont même établi les premières cartes. Ils ont également été de grands pacificateurs entre les différentes tribus de la Nouvelle-France et de la Nouvelle-Angleterre. Bien qu’au début ils étaient peu nombreux, le nombre de coureurs des bois augmenta très rapidement. En 1676, ils étaient environ 500, en 1680, l’intendant Duchesneau estime à 800  le nombre de ces voyageurs sylvestres. Et en 1681, 1475 hommes mariés, et 65 veufs vont déserter la colonie pour la course des bois. C’est surtout le castor qui poussait les hommes à se lancer à l’aventure. C’était la façon la plus rapide de s’enrichir. Ils échappaient ainsi à la dure routine du travail de la terre, et le caractère pas très farouche des femmes amérindiennes plaisait beaucoup à ces mâles en puissance. Faut dire qu’au début de la colonie, il y avait 50 hommes pour une femme! Ainsi, le nombre de métis augmentait avec le nombre de coureurs des bois. Le castor, qu’on estimait à 10 millions avant l’arrivée des Européens, était devenu comme une monnaie. On le compare même à un écu d’or. On coupait tous les poils de sa fourrure pour en faire des feutres qui coiffaient tous les riches seigneurs et bourgeois d’Europe. En 1653, il ne restait déjà plus de castors à Trois-Rivières, forçant les coureurs des bois à pénétrer plus loin dans les terres. La fourrure changea considérablement la vie des amérindiens. Ils devinrent les fournisseurs de peaux, pour les  coureurs des bois, qui les échangeaient contre des bouts de verres, des miroirs, des couteaux et des fusils, sans parler de la terrible eau-de-vie, qui ruina la vie de moult peaux-rouges. Tellement, qu’on établit des lois strictes contre la vente de boisson forte aux amérindiens. Les coureurs des bois partaient souvent pour des voyages en canots, qui variaient entre 6 mois et deux ans. Ils faisaient en moyenne 70 km par jour, ne s’arrêtant que pour manger et dormir. La route était difficile. Les rapides et les chutes n’étaient qu’une partie des dangers, les forçant à faire plusieurs portages, et soulever de grosses charges sur des kilomètres. N’ayant pour pitance qu’une livre de maïs et une once de graisse par jour, quelques biscuits de froment, et parfois de la viande fraîchement chassée,  ils ont vite adopté la simplicité volontaire. Quand l’hiver arrivait, ils construisaient un fort de traite, près d’un village amérindien, près d’un cours d’eau, et près du bois de construction et de chauffage. Ils vivaient alors de pêche et de riz sauvage, troquant leurs canots pour des raquettes, ou des chiens de traîneaux. Les coureurs des bois, aussi appelés coureurs de risques, à leur grand plaisir, faisaient leur testament avant le départ de chaque voyage. Ils savaient qu’il y avait beaucoup de chance d’y laisser leur vie. Cependant, lorsqu’ils revenaient au poste de traite, ou dans la grande ville, ils faisaient la fête en buvant à démesure et en tombant dans tous les vices. Ce qui irritait beaucoup les jésuites, qui n’aimaient pas ces brutes qui trop souvent, adoptaient le mode de vie des amérindiens.  Eux qui, justement tentaient, tant bien que mal, de convertir ces sauvages en bons chrétiens. En 1681, on instaura un système de permis de traite, favorisant certains et pénalisant les autres. Le terme de coureur des bois devient alors péjoratif, synonyme de désobéissance et de libertinage. Ces valeureux  aventuriers désirant garder leur liberté, ne prenaient pas au sérieux ces restrictions bureaucratiques. Le coureur des bois de Nouvelle-France, ce bâtisseur d’empire à coup d’aviron, avait encore un siècle avant de perdre sa place dans l’industrie coloniale. Vers la fin du 18ième siècle, la mode du castor dégringola en  Europe, ceci et le système de permis de traite, contribua à la décroissance de la popularité du  métier de coureur des bois, qui rendit pourtant tant de services à  la nation. Le coureur des bois pour survivre allait connaître une transformation, au seuil du 19ième siècle. Surtout traiteurs et canotiers, les coureurs des bois ont dû se recycler afin de continuer à survivre en Nouvelle-France. Grâce aux connaissances précieuses acquises auprès des amérindiens, ils se sont convertis, d’abord en chasseurs-pêcheurs, et plus tard en bûcherons-draveurs et en piqueurs de gomme (de sapin). Répondant ainsi aux besoins de la population grandissante du Canada. À l’aide d’une panoplie de pièges et de techniques, ils trappèrent le gros et le petit gibier, transformant la fourrure en vêtements et en couvertures. Ils vivront dans les chantiers, travaillant durement à couper le bois qui bâtissait les villes et chauffait les chaumières, loin de leur femme et enfants. Le piqueur de gomme de sapin est un métier méconnu de plusieurs. Ils étaient nombreux à partir de bonne heure, avec leur échelle de 5 à 6 pieds, un «pickaway», instrument de fer blanc, servant à piquer les bulles de gomme de sapin (vessies), et un porteur, un contenant pour récupérer la gomme des «pickaways». Ils travaillaient souvent toute la journée sans prendre de repas, à monter et descendre des grands sapins, rois des forêts, pour vendre leur gomme aux pharmaciens ou aux individus. Aujourd’hui, on remarque un retour vers les métiers de la forêt. Le coureur des bois, quoique plus rare, parcourt encore nos forêts, trappant le lièvre et le renard, libre comme l’ours. Malgré la nouvelle conscience et le végétarisme grandissant, ce savoir reste important pour l’avenir de nos sociétés nordiques. Bien entendu, les animaux ne sont plus en aussi grand nombre dans nos forêts québécoises, et je déconseille la chasse de certaines bêtes qui se font plus rares, notamment le castor, le lynx, le loup etc… Mais la viande sauvage est une bien meilleure alternative à la viande aux hormones qu’on nous sert au supermarché. Et le lièvre et le chevreuil, l’oie sauvage, etc… ont perdu leurs prédateurs naturels et se retrouvent en grand nombre au Québec. J’ai moi-même eu la chance d’apprendre à trapper le lièvre. J’ai connu une grande joie, et un sentiment d’indépendance profond lorsque j’ai pris mon premier lièvre au collet, et que je l’ai cuisiné pour partager avec la famille. Cela peut sembler cruel pour certains-nes, mais je l’ai fait avec amour, et depuis j’ai le sentiment que la magie du lièvre m’accompagne. Car je l’ai aimé et respecté en apprenant ses habitudes et en marchant dans ses pistes, comme le faisaient les coureurs des bois de jadis, qui l’ont appris de leurs frères rouges. Vivre de la forêt avec conscience, avec la chasse, la pêche, la cueillette de petits fruits, la récolte de gomme de sapin (qui est encore en demande dans le domaine pharmaceutique), la cueillette de champignons, l’artisanat forestier, le tannage du cuir, etc.. est une merveilleuse façon d’atteindre l’autosuffisance  et  de sortir de ce monde de surconsommation malsain, tout en étant libre dans la nature. Libre de respirer au rythme des arbres. Quoi qu’il en soit, les coureurs des bois d’hier ou d’aujourd’hui sont, pour la plupart, des amoureux de la nature, des êtres attentifs et patients, qui ont développé un grand sens de l’observation. Ils vivaient et vivent leur liberté, sans contrôle, loin des contraintes, des maîtres et de la routine.  Ils représentent le dépassement de soi et la vitalité, l’anticonformisme, l’aventure. J’ose espérer que chacun-unes d’entre nous, québécois et québécoises, possédons encore au fond de nous cette graine de coureur des bois. Car sait-on jamais quand nous devrons la faire germer, pour que nos enfants connaissent aussi la liberté.

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