Ecoforesterie: Marc-André Parent en grandeur nature

par Bob Eichenberger

Du deuxième au quatrième rang à Maria, quand les gens décrivent Marc-André, à « Y’é pas grand » on ajoute toujours : « Mais y’é bâti comme un tronc d’arbre! » En effet, Marc-André impressionne autant par sa force phénoménale que par son originalité et sa bonne humeur inépuisable. Ses amis de New Richmond comme de Gaspé le connaissent pour son enthousiasme et ses projets originaux, mais ces temps-ci, il vibre d’une énergie toute spéciale : il est en train de s’installer sur la terre patrimoniale de sa famille où il va réaliser ses rêves.

La terre avait été travaillée par son arrière grand-père. Son grand-père avait connu des difficultés comme tous les agriculteurs de son époque. Son père avait quitté la terre pour se lancer en construction et en foresterie avant que Marc-André soit né. Les champs et pâturages furent reboisés selon les pratiques d’il y a vingt ou vingt-cinq ans, c’est-à-dire en monoculture d’épinettes de Norvège.

Marc-André a connu une enfance heureuse sur le quatrième rang de New-Richmond, mais il avait eu la chance de bâtir un premier chalet sur la terre familiale avec son père, maintenant décédé. Malgré le portrait d’une dure réalité que les anciens agriculteurs lui avaient donné, Marc-André savait que l’agriculture ferait de nouveau partie de sa vie. Mais il y a plus…

Après une formation postsecondaire comme charpentier-menuisier et une expérience un peu ennuyeuse dans ce domaine, il retourne suivre une formation, à Gaspé, cette fois comme soudeur-monteur. Sauf que Marc-andré travaille le métal depuis son enfance. Sa première forge fut construite avant même de commencer son cours. Cet anachronisme apparent fut construit à partir de matériaux recyclés. Un différentiel de camion, un vieux réservoir à eau chaude, des bouts de tuyaux et de fer angles, il trouve tout ce dont il a besoin, rien ne l’arrête. Il finit même par donner une démonstration de techniques de forge dans le cadre de son cours de soudure à Gaspé.

Pourquoi une forge quand on peut utiliser les techniques modernes et rapides disponibles à son cours? Il peut invoquer que la location des bonbonnes d’acétylène et d’oxygène est compliquée et chère quand on ne les utilise pas de façon constante et en entreprise, mais la vraie raison est plus difficile à expliquer : pour la beauté. C’est que…

Depuis l’âge de quatre ou cinq ans, le petit Marc-André est fasciné par certaines périodes de l’Histoire. Astérix le Gaulois et d’autres animations d’époque du genre allument le cierge de son destin qui brûle encore en lui aujourd’hui. L’âge de bronze, l’âge de fer, l’antiquité et le Moyen Âge sont remplis de leçons, de mystères et de techniques artisanales qui combinent la poésie, la philosophie et la fine pointe de l’art. Mais il y a plus…

Selon lui, notre vision de l’antiquité est un peu trop dominée par les civilisations grecques et romaines. Pire encore, ce qu’on « sait » des Germains, Gaulois et autres a été écrit par les vainqueurs, par exemple, des historiens tacites romains tels Marc-Aurèle qui a envahi la Germanie. Marc-andré essaye de rééquilibrer son information par des textes issus de fouilles archéologiques et d’autres sources. Il est particulièrement intéressé par l’époque « norse ». Marc-André utilise rarement le mot «Viking» parce qu’à l’origine le mot était péjoratif. Sa connaissance de l’Histoire, des mœurs, des croyances, des chevaux, bateaux et même du vocabulaire norse est impressionnante. La passion de la recherche en Histoire fait partie de sa vie. Ça n’arrêtera pas. Aussi, depuis sa jeunesse, il crée des costumes, armes et accessoires d’époque avec un souci grandissant d’authenticité.

Un jour, son ami Alexandre lui fait connaître le jeu « Donjons et Dragons ». C’est un jeu dans lequel on fait de l’improvisation, de la création collective, de la stratégie, de la compétition, de la coopération, jusqu’aux limites de l’imagination dans un contexte de monde médiéval inventé. Le jeu sur table est amusant, mais Marc-André est surtout impressionné par les « Grandeur nature » où le jeu se déroule sur un site extérieur, souvent en pleine nature. À La Martre, au nord de la Gaspésie, on organise des Grandeur Nature (GN) depuis environ dix ans. Pendant ces activités, cinq ou six époques se côtoient en même temps. Pour Marc-André, c’est le bonheur. Et l’inspiration…

Pourrait-il combiner sa passion pour l’histoire et le jeu de rôles avec l’agriculture, l’artisanat, la forge, la construction et la foresterie écologique? Mais oui! On dirait que toute sa vie l’a dirigé vers ça. La ferme est un endroit idéal pour faire des GN. Imaginez le réalisme avec des animaux de ferme dans le décor. Même les épinettes de Norvège contribueront au décor norse d’origine, bien qu’à l’avenir on devra éviter de planter des espèces exotiques dans un milieu naturel. Lors des activités, touTEs les invitéEs pourront découvrir la gastronomie de l’époque. Marc-André a même commandé un livre de recettes scandinaves. Bien sûr, il s’agira de bonne bouffe biologique produite sur la ferme.

Les joueurs intéressés pourront se procurer des armures et de l’équipement sur mesure pour la forge authentique qui servira aussi à réparer l’équipement agricole. Les vrais mordus pourront même être initiés à la technique et participer à la confection de leurs armes. Pour alimenter la forge, le jardinage des aulnes qui poussent dans les milieux humides sera particulièrement utile parce que ces tiges étroites brûlent avec assez d’énergie pour faire fondre le fer.

Plus loin, dispersés parmi des sentiers forestiers pittoresques, on pourra habiter dans un village norse (viking), plus loin, un village celte fortifié (un oppidum) et aussi des cabanes solitaires dans la forêt seront disponibles pour les druides, sorcières, etc. Marc-André utilisera ses outils historiques de collection et les produits forestiers de sa terre pour la confection des infrastructures. En prenant son temps, il pourra s’assurer de l’authenticité et de la cohésion de ses habitations et décors.

En parlant de décor, un tel projet lui permet de valoriser son style de travail forestier soucieux du respect à l’endroit de la « magie » que la forêt nous fait ressentir. Le terrain accidenté au pied des montagnes et la biodiversité du site sont des avantages. Les sentiers et le labyrinthe nous feront vite oublier le monde industriel merdique de notre époque. « La forêt, c’est vivant! On y ressent comme une présence, surtout quand on est seul », me confie Marc-André, en se demandant si les lecteurs comprendront.

Mais n’oublions pas la mer. Que serait l’expérience grandeur nature historique norse sans le fameux « drakkar ». Eh bien, oui! Une baleinière est présentement en train d’être convertie en drakkar, terme inspiré de « drake » (dragon), précision de l’historien Marc-André soucieux de l’exactitude des mots d’origine. Il est à noter que le drakkar est plus petit et effilé que le gros « knörr » qui était le bateau avec lequel Thorfinn se rendit à Terre-Neuve autour des années 1000.

Il n’y a pas de problème par rapport à l’authenticité d’une telle conversion, puisque le drakkar est le précurseur du færing et de la baleinière (voir la revue « Wooden Boat » #183). Alors il ne fait que ramener le bateau à son modèle original. Il a déjà essayé de construire une coque en sciant le bois de sa propre terre, mais les arbres qui avaient grandi au plein soleil dans d’anciens pâturages avaient trop de nœuds pour assurer la solidité requise. Le bois de qualité adéquate qui grandira dans des conditions de pleine forêt sera disponible à ses petits-enfants.

Si nous extrapolons, le drakkar pourra éventuellement faire partie d’un réseau d’activités écotouristiques locales. Par exemple, des visiteurs du village historique Mi’kmaq pourront descendre la Grande Cascapédia en canoë d’écorce jusqu’au drakkar qui les amènera au village norse de Marc-André. De là, ils pourront partir en tournée équestre en suivant le réseau des ranchs gaspésiens, peut-être jusqu’à l’écovillage, et ainsi de suite.

Dans le futur, ce sera la qualité qui sera priorisée. Marc-André ne cherche pas à grossir pour grossir. Il ne tient qu’à se suffire, faire la vie qu’il aime et parfois se payer quelques gâteries, comme par exemple un outil ou autre objet d’époque. Il prévoit éviter les pièges de la « production à pression ». Les projets prendront le temps qu’ils prendront, Marc-André prendra le temps de faire de la qualité et de vivre à son rythme, comme souvent le font nos voisins autochtones. Il voit sa vie ressembler à celle des « hobbits » dans le « Seigneur des Anneaux ». Le stress est à éviter, ça n’apporte que des ulcères.

Avec ses buts de vivre en harmonie, de redonner à la terre, à la forêt et aux gens le plaisir qu’il reçoit et de garder l’équilibre, il créera sûrement un endroit où il fera bon vivre. Et nous pourrons être certains que le séjour dans ses villages forestiers sera aussi agréable qu’intéressant, que ce soit pour camper en famille dans un contexte intime avec la nature, ou pour participer à des joutes historiques en grandeur nature.

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