Écoforesterie: Vie du sol

par Bob Eichenberger Que peut-on trouver dans un sol forestier? Des racines, bien sûr! Le sol en est plein. Il y a des racines énormes, grosses comme des troncs d’arbre allant jusqu’aux fins tissus de petites racines presque microscopiques, qui occupent encore plus de volume que les grosses. Il y a des racines vivantes qui transportent de l’eau et toutes sortes d’éléments utiles aux arbres et il y a des racines mortes qui nourrissent les autres en pourrissant. Une fois complètement compostées, les racines mortes laissent des espaces vides dans le sol qui sont utilisées par toutes les formes de vie comme des insectes, des mammifères qui les mangent et qui font leur nid, les champignons, les micro-organismes et même d’autres racines. Question: Quelle est la plus grande forme de vie sur la Terre? Je vais peut-être décevoir tous ceux et celles qui ont crié «les baleines», car c’est le champignon! – Mais voyons, un champignon c’est tout petit! Ce que nous voyons est tout petit. Ce n’est que le fruit. On ne voit pas le tapis souterrain de petites racines appelées mycorhizes. Un seul individu peut recouvrir 20 000 acres ou 8100 hectares et il peut y en avoir 2 kilomètres dans un cube de 6 centimètres cube de terre (plus d’un kilomètre par pouce cube). Les champignons sont de plus en plus utilisés par les mycologues pour stabiliser des sols endommagés grâce à leurs tapis de mycorhizes. On a récemment constaté une relation d’entraide entre les mycorhizes et les racines des arbres. Les champignons augmentent la productivité des sols forestiers en transportant des éléments essentiels des endroits où il y en a trop aux endroits où il en manque. On commence à comprendre que c’est grâce à eux que les arbres obtiennent l’azote des fèces (crottes) et des animaux morts, le phosphore, le potassium, le calcium, le magnésium et autres éléments des pierres et de la décomposition des végétaux. Il y a tellement de fonctions incomprises dans ce transport d’éléments et de molécules qu’on a appelé le réseau mycologique "l’Internet de la nature". Croissance et décomposition La vie du sol présente des occasions d’étudier tous les stades de l’évolution de la vie, allant des unicellulaires les plus simples aux formes de vie les plus proches de nous. Tous participent aux cycles de croissance et de décomposition. Tous participent aux cycles du carbone et de l’azote. Ces deux éléments qui sont assez légers pour se retrouver dans l’air qu’on respire, et suffisamment solides pour être les bases structurales du bois et du muscle. Des bactéries et des algues prennent ces éléments de l’air, en tirent les bénéfices, meurent et nourrissent le sol qui ensuite nourrit les plantes. Les arbres concentrent le carbone, les animaux concentrent l’azote, jusqu’à ce que leur mort nourrisse encore le sol grâce aux organismes décomposeurs. Les décomposeurs sont les animaux charognards, les insectes, la faune microscopique, les bactéries, les champignons et beaucoup d’autres. Dans la vie du sol, on a mentionné les insectes qui l’aèrent et le structurent en transportant la nourriture par leurs terriers et galeries. On n’a qu’à penser au travail des fourmis pour en avoir une idée. On peut aussi inclure les rongeurs, souris et mulots qui travaillent le sol, sèment des graines et transportent des spores et autres éléments, de même que les prédateurs qui les mangent, comme les visons, belettes, renards et autres. Tout comme la forêt et la vie qui lie tous ces éléments, un sol forestier diversifié et complexe fonctionnera mieux que des sols et des systèmes simplifiés par des mauvais traitements. Les cycles des éléments seront efficaces et productifs. Il est même souhaitable d’imiter la forêt et d’introduire un maximum de diversité dans nos sols de jardin. Toute cette vie est possible grâce à un bon couvert forestier qui tempère le climat, réduit les variations de température au sol et y régularise l’humidité. La forêt crée un milieu de vie optimal pour le sol, qui crée un milieu de vie optimal pour la forêt. En creusant et en observant des échantillons de terre sous microscope, on verra aussi qu’il y a bien plus de vie et d’espèces d’êtres vivants dans le sol forestier que dans le sol, qui subit des variations de température plus prononcées, comme dans le cas des plages ou des aires de stationnement, ou des sols pauvres parce que dégradés par de la machinerie lourde. Un sol riche, structuré et vivant contient plus d’oxygène. Un sol aéré contient des bactéries aérobics qui prennent l’azote de l’air; un sol pauvre et compacté contient peu d’oxygène, donc des bactéries anaérobiques qui renvoient l’azote du sol dans l’air. En pratique, l’écoforestier évitera les coupes à blanc et les ouvertures sur de trop grandes surfaces. Il ou elle travaillera avec l’équipement le plus léger possible, de préférence quand la terre est gelée. On peut aussi donner un petit coup de pouce à la nature dans nos boisés en étendant un peu de cendre de notre bois de chauffage de l’hiver aux endroits où le tapis de matière organique non décomposée est le plus épais. Cela aide à équilibrer l’acidité et à accélérer le compostage. C’est comme un feu de forêt, sans en avoir les désagréments. Formation et stabilisation du sol Si l’on mesurait la matière déposée au sol par la forêt sans compter l’eau qu’elle contient, elle pèserait entre une demie et trois tonnes de matériaux en matière sèche. Les stades pionniers en déposent plus, ce qui augmente la biomasse. Cela veut dire que les trembles, cerisiers, aulnes et autres envahissent les champs abandonnés, les coupes et autres aires dégradées. Ils traitent et rétablissent la qualité du sol en déposant leurs feuilles et branches mortes, ainsi que la poussière qu’ils ont captée de l’air. Avec la minéralisation, c’est-à-dire la transformation des branches et feuilles qui sont décomposées en sol minéral, on peut compter sur l’ajout d’un centimètre de sol à tous les 100 ans. Sans la forêt pour retenir ce sol, des poids énormes de matière érodée se retrouveraient au fond de nos lacs, de nos rivières et de la mer. Des apports subits de matériaux perturbent les sites de reproduction des poissons et causent toutes sortes de dommages le long de nos bassins versants et de nos chaînes alimentaires. Quand on vous dit que tout est interdépendant! Dans l’optique écoforestière, au lieu de raser les aulnaies qui ont pris la place des forêts coupées à blanc, pourquoi ne pas seulement les éclaircir et planter des essences plus commerciales au travers. Les aulnes leur rendront le double service de transpirer l’excédent d’eau et de les nourrir grâce aux nodules de bactéries sur leurs racines, qui fixent l’azote atmosphérique dans le sol. Dans les milieux humides, il faut aussi éviter l’utilisation de la machinerie lourde qui compacte et défait les structures de vie du sol. Les grandes civilisations sont tombées et tomberont toujours quand la forêt qui les entoure se fait rare. En conclusion, par le rétablissement des écosystèmes endommagés, on apporte le cadeau le plus précieux que l’on puisse faire aux générations à venir: le sol.

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