Écovillage au Mali 2: Fruit précoce et fruit durable sont deux

par Pascalô Vallières

Québec, 12 février 2009

Une qualité précoce n’est pas forcément une qualité qui dure. Ainsi, un bon fruit prend du temps à mûrir mais mûri bien. Ce qui revient à dire que les choses doivent se faire lentement afin d’être réussies. Deux ans après le démarrage de cette initiative d’écovillage culturel au Mali, un bilan s’impose. Ce texte se veut un écho à l’article Les graines d’un écovillage au Mali, écrit en septembre 2007, lequel était empreint d’optimiste et d’espoir. Sans verser dans l’afro-pessimisme, l’expérience m’amène à adopter une vision plus pragmatique, plus terre à terre, davantage enracinée dans la réalité. Ainsi, il importe de mettre en perspective les écueils inhérents à un projet de développement aussi ambitieux, tout en soulignant également les réussites, aussi petites soient-elles.

De prime abord, les réunions tenues entre juillet et octobre 2007 à Bamako et Ballabougou nous avaient convaincu de la nécessité de monter une structure coopérative afin de soutenir le projet d’écovillage culturel. Les modes de gestion et de prises de décision y apparaissaient plus transparents et démocratiques qu’au sein des associations qui, au Mali, souffrent de ces maux que sont le népotisme et la corruption. Les modalités de cotisation mensuelle et de parts sociales furent fixées après avoir échangé avec les paysans mandingues et les différentes personnes intéressées à adhérer à la coopérative. Nous avions même prévu, pour les moins fortunés, que la cotisation pourrait être remplacée par des travaux au service du projet.

Après avoir lancé l’appel aux paysans de la région à participer à l’assemblée constitutive de la coopérative, nous nous retrouvions, à la fin octobre, réunis à l’ombre d’un grand néré, cet arbre sahélien sous lequel s’effectuent traditionnellement les palabres. Malgré les minutieuses enquêtes et les interminables séances d’information que nous avions précédemment menées auprès des paysans des villages avoisinants, ces derniers semblaient briller par leur absence, malgré quatre ou cinq cultivateurs qui s’étaient senti le devoir d’y assister, par amitié ou par solidarité. Venus de la capitale pour l’occasion, nous espérions un échange fructueux et surtout la participation active des agriculteurs mandingues. Ne s’agissait-il pas d’élire les membres du conseil d’administration et du comité de surveillance de leur coopérative? Force était de constater que notre stratégie de communication comportait des failles.

La journée précédente, en nous rendant au village de Kyniéroba, situé à près d’une douzaine de kilomètres du lieu où nous désirions fonder l’écovillage, nous avions eu maille à partir avec les gérontocrates de ce chef-lieu de canton. Peu après la présentation publique de notre projet, les patriarches avaient demandé aux jeunes de quitter les lieux avant de se lancer dans de longues tirades en langue malinké, d’où perçait clairement l’animosité. Ils tenaient à rétablir les faits historiques : la terre de Ballabougou était toujours sous leur autorité, quoiqu’en disent les promoteurs d’un nouveau projet ou l’administration malienne actuelle. Les colonisateurs français avaient attribué cette terre à la famille Keïta en 1930, cherchant ainsi à mettre un terme aux affrontements qui avaient coûté des vies à l’une et l’autre des parties belligérantes. Or, les gens de Kyniéroba, eux, n’avaient jamais accepté de voir cette portion de leur territoire leur être amputée et de surcroît la voir occupée par des allochtones. Ainsi, un litige foncier vieux de trois générations ressurgissait au grand jour! Malgré notre bonne volonté, notre proposition leur apparaissait comme un véritable affront. De plus, nous apprenions par la suite que quelques-uns d’entre eux revendaient localement des pesticides et des herbicides à ces mêmes paysans auxquels nous proposions une agriculture biologique. Aussi bien dire que nos positions étaient irréconciliables.

Ainsi, au lendemain de cette mésentente, notre assemblée constitutive était boudée, voire même boycottée par les villages voisins. Quoiqu’il en soit, nous procédions à l’élection des postes à combler et décidions d’ériger le siège de la coopérative… à Bamako, à 65 km de Ballabougou. Au début de l’année 2008, nous obtenions notre reconnaissance en tant que coopérative éco-culturelle de la part de l’administration malienne. D’une réunion à l’autre se dessinaient les priorités des nouveaux membres, dont de nombreux maraîchers cultivant avec force et détermination leurs jardins sur des immondices en bordure du fleuve Niger, près d’un quartier populaire de la capitale. Parmi eux, un maraîcher professionnel, chevalier de l’Ordre du mérite agricole national, comprenait et partageait la vision de l’écovillage. Ayant autrefois visité les kibboutz israéliens, il fut de ceux qui contribua grandement à mobiliser les ressources humaines autour du projet.

La perspective d’avoir accès à une terre cultivable et fertile à Ballabougou semblait enchanter ces nouveaux coopérateurs. Après avoir effectué une mission de reconnaissance sur le terrain, ils décidaient de s’engager collectivement dans la riziculture, avec la bénédiction du Président du conseil d’administration de la coopérative, lui-même originaire de la région et membre de la famille héritière de Ballabougou. Avant même d’avoir ensemencé le moindre grain de riz, ils étaient tous obnubilés par la vision de greniers remplis à craquer. Et des finances renflouées. Comment aurais-je pu, en tant que coordonnateur, freiner leur optimisme?

Les subventions et les prêts étaient difficilement accessibles pour une jeune structure comme la nôtre. Nous devions ainsi faire preuve de solidarité et de détermination et nous tourner vers l’autofinancement. Il va de soi qu’avec la faiblesse du salariat et de l’économie formelle dans un pays africain comme le Mali, la mobilisation des ressources financières demeure un tour de force. Malgré les difficultés se dressant devant les membres de la coopérative, les membres ont pu, tant bien que mal, cotiser la somme coquette de 2 millions de francs CFA (soit environ 5000$ canadiens) pour cultiver de manière biologique du riz gambiaca sur une superficie de 30 hectares. La Banque Nationale de Développement Agricole acceptait de nous octroyer un prêt pour le demi-million de francs CFA manquant, avec la garantie que représentait la caution solidaire des membres.

Avec la superficie envisagée, il semblait impératif pour les membres de faire appel à cet instrument de labour polluant et énergivore qu’est le tracteur. Une grande partie des fonds épargnés fut engloutie dans la location de cet engin, plus souvent qu’autrement en panne, ce qui nous fit perdre un temps précieux sur le calendrier agricole. N’aurait-on pas mieux fait d’envisager l’achat de quelques paires de bœufs et de charrettes attelées?

Un agronome malien fut engagé pour superviser les travaux et surveiller la précieuse récolte. Il conseilla les producteurs qui, de leur côté, étaient pour la plupart déjà occupés par leurs propres travaux maraîchers près de la ville. Ainsi affairés, il devenait difficile pour eux de se dégager de leurs obligations et de se rendre disponibles au moment critique afin d’effectuer le désherbage des trois dizaines d’hectares de rizière. On fit alors appel aux services d’un groupement local de femmes.

À ce rythme, nous dirigions-nous vraiment vers la réalisation d’un écovillage? Qu’en était-il de la mission initiale de développement durable? En quoi l’orientation que nous prenions allait contribuer à améliorer les conditions d’existence des populations locales? Le labour mécanisé et la monoculture cadraient-ils avec le concept d’agro-écologie que nous voulions développer?

La récolte fut désastreuse. Une invasion de parasites et l’absence de traitement de pesticides biologiques efficaces avaient entraîné des pertes considérables. Cette situation a toutefois eu pour effet d’amener des remises en question quant à la monoculture et l’utilisation de semences sélectionnées, comme celles qui avaient été préconisées pour cette campagne, selon les judicieux conseils des spécialistes.

Au moment d’écrire cet article, des stagiaires et des volontaires français travaillent sur place à effectuer un renforcement des capacités organisationnelles de la coopérative. Un projet de reboisement a été proposé ainsi qu’une formation à l’agro-écologie. Un coordonnateur malien a également été désigné afin de prendre la relève suite à mon départ, en décembre 2008.

En somme, malgré les difficultés qui ont jalonné les débuts de ce projet, les membres de la coopérative sont prêts à adopter de nouvelles stratégies et ont grandement appris à travers cette expérience collective. J’ose espérer qu’avec les années, l’arbre planté au cœur de cette terre sahélienne portera des fruits doux et longuement mûris.

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