Le Tour de Babel

par Geneviève Tremblay Inventer un langage commun pour s’élever ensemble Du mythe… La Genèse explique ainsi l’origine de la multiplicité des langues : il fut un temps où les êtres humains comprenaient et parlaient tous une même langue. C’est ce qui leur aurait permis d’unir leurs forces et leurs connaissances afin de bâtir une tour si haute qu’elle pouvait atteindre les étoiles. Pour les empêcher d’atteindre le royaume des Cieux et les punir de leur arrogance, Dieu « confondit le langage de tous les habitants de la terre et Il les dispersa de par le monde. ». Dans la cosmologie wendat, après que le Grand Esprit ait submergé la Terre afin de la débarrasser de la malveillance des hommes, Aataentsic, la-Fille-du-Ciel, descendit sur le dos de la Grande Tortue pour donner naissance à ses enfants et reconstruire un monde meilleur. …à la vision : Une histoire de croisements naturels À l’origine a été la convergence de deux projets qui se sont matérialisés à l’été 2008 : le premier étant le tournage d’un film documentaire à Manawan et le second, la production d’un spectacle dans une communauté otomi du Mexique. Ainsi sont nés la troupe nomade de théâtre d’interculturation Le Tour de Babel et son projet pilote Dans les coulisses de la Grande Tortue, à la croisée des chemins de quatre théâtreuses, d’une étudiante en anthropologie et d’un travailleur social. Leur point de rencontre? Une passion commune pour la découverte de sociétés différentes sous des horizons nouveaux, ainsi qu’une même foi en le pouvoir de guérison de la créativité. En mettant sur pied leur OBNL, elles et il se sont alors donné pour mission officielle d’aller offrir des ateliers d’art dramatique dans des localités isolées et auprès des populations marginalisées, avec une idée bien précise derrière la tête : mettre en relation, grâce au moyen du théâtre, des groupes appartenant à des cultures distinctes. Voilà pour l’explication du néologisme « interculturation ». Pour ce qui est de la tour de Babel, elle symbolise les capacités infinies des êtres humains lorsque la communication entre eux est rendue possible. Quant au programme Dans les coulisses de la Grande Tortue, outre ses objectifs de sensibilisation aux enjeux autochtones et d’initiation aux traditions des Premières Nations (par l’organisation de formations et de conférences), il a pour but principal d’amener les membres de la troupe à aller offrir des ateliers d’art dramatique à de jeunes Anicinapes de Kitcisakik, en Abitibi-Témiscamingue, au courant de l’été 2009. C’est avec une conscience aigue de l’immense perte que subirait le patrimoine humain si survenait la disparition des cultures autochtones que les animateurs de la compagnie travaillent à la diffusion de l’autochtonie en territoire québécois. L’image de la Grande Tortue, qui a été reprise comme un hommage à la culture wendat, représente notre terre mère à tous. Les coulisses font référence aux arts de la scène, mais en gardant cette connotation d’un théâtre de la marginalité. Le média du théâtre : pourquoi et comment? Le théâtre, art total par excellence, a ceci à son avantage qu’il peut très bien se passer de ressources matérielles pour se mettre à exister – un acteur, un spectateur, un espace commun et un temps à partager – et devient un art accessible à tous. Pour les fondateurs de l’organisme, le théâtre n'est, en fin de compte, que le prétexte à une rencontre et à un échange. Leur but n’est pas de faire des participants de Kitcisakik des comédiens professionnels, mais de leur présenter les bases des techniques de scène, des outils théâtraux, des moyens de développer leurs capacités d’expression et de créativité, afin que ces jeunes puissent acquérir une certaine autonomie dans la production d’un spectacle, et se permettre l’initiative de répéter l’expérience quand et où bon leur semblera. Avertis que leur statut de représentants de la société dominante peut entraîner des difficultés de connexion avec les habitants de la communauté, les membres du Tour de Babel ont adopté, dans leur approche, la philosophie de l’éducateur brésilien Paolo Freire : « Personne n'éduque autrui, personne ne s'éduque seul, les hommes (et les femmes) s'éduquent ensemble, par l'intermédiaire du monde. ». Il est donc primordial pour l’équipe d’arriver sur le terrain dans un esprit de dialogue, d’échange égalitaire, avec l’humilité indispensable à une bonne écoute. D’ailleurs, afin de briser les rapports hiérarchiques « professeurs-élèves », les participants seront régulièrement invités à échanger de rôle avec les animateurs, et à venir « donner » chacun à leur tour un atelier, sur le thème de leur choix. Enfin, c’est encore en partant du principe de la pensée de Freire que s’est établi la formulation des ateliers en séances de création collective, (celles-là nécessairement dirigées par les animateurs) structurées selon la méthode des cycles REPERE1. ». Cette formule, que l’on pourrait qualifier d’holistique, implique que toute la création repose sur les participants, et que ceux-ci doivent partir de leur environnement et d’eux-mêmes pour construire l’histoire. Ainsi, autant la forme que le fonds appartiendront aux jeunes de Kitcisakik. L’étape finale, si les participants le désirent, bien sûr, sera de synthétiser les résultats de tous les ateliers de création, afin de monter un spectacle qui sera représenté devant la communauté. Une tournée dans les communautés et les villes avoisinantes leur sera également proposée. La production d’une œuvre dramatique n’apparaît pas essentielle aux animateurs. Cependant, elle sert d’objectif, de but commun, de motivation et de récompense aux participants, et c’est pourquoi les membres de l’équipe mettront à la disposition des participants toutes les ressources possibles.   Les membres du Tour de Babel et les initiateurs du projet Dans les coulisses de la Grande Tortue sont : Chantale Galimi, Sylvain Laprise, Isabelle Girouard, Annie Veillette, Mathilde Gouin, Emmanuel Beauregard, Sarah Lévesque, Geneviève Tremblay.

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