Les graines d’un écovillage au Mali

par Pascalô Vallières

Bamako, 4 septembre 2007

 La saison des pluies profite aux bonnes semences... Et nous voici présentement dans une période propice pour planter les graines du futur écovillage culturel de Ballabougou, un petit hameau situé en bordure du fleuve Niger, au Mali. Pays classé parmi les plus pauvres selon les indices de développement humain. Ou parmi les plus riches si l’on s’attarde à sa tradition d’hospitalité et d’humanisme! Ça dépend toujours de la perspective!

L’hospitalité d’abord. Parce que c’est le respect de cette tradition séculaire qui nous permet aujourd’hui d’espérer récolter les fruits d’une graine d’espoir et de solidarité qu’est ce projet d’écovillage. Une graine semée sur le terreau fertile de la fraternité entre un anthropologue québécois et un rasta malien, descendant de la noble famille Keïta. Au Mali, cette grande famille constitue la large descendance du fondateur de l’Empire médiéval du Mali, Soundjata Keïta.

Le Mandé, région au sein de laquelle notre projet d’écovillage plonge ses racines, est celle même qui a vu naître cette nation, lors de l’élaboration de sa première constitution en 1236. Il est notoire que le Mali est doté d’un patrimoine culturel et historique séculaire. Et c’est sur la base de ce patrimoine culturel, mais aussi écologique, que se fonde notre action.

Afin de réaliser notre projet, nous avons opté pour la fondation d’une coopérative culturelle et écologique qui se donne comme but premier de travailler à la protection et à la valorisation du patrimoine culturel et écologique du Mali. Cet outil nous permet aujourd’hui d’unir les forces, les savoir-faire et les talents nécessaires à une telle entreprise.

La coopérative a adopté un nom, un symbole fédérateur: CIBARA. En pays mandingue, le «cibara» (prononcer tchi-bara) constitue un instrument de percussion, aujourd’hui en voie de disparition. On pourrait traduire littéralement son nom par «tambour de culture». Il était joué traditionnellement en vue de rassembler et d’encourager les paysans lors des travaux champêtres. D’après la tradition orale, son nom originel signifiait le «tambour de l’entente» (benbara), démontrant à quel point cet instrument contribuait à la cohésion sociale.

Aujourd’hui, notre Cibara appelle les forces vives du Mandé et d’ailleurs. Un réseau de solidarité se développe tranquillement autour du projet, particulièrement en France et au Québec. Nous accueillons nos premiers stagiaires et bénévoles Français cet automne, au moment où les activités foisonnent pour mettre en place la structure à l’échelle locale. Les Maliens répondent présents à l’appel, et un à un, ils viennent agrandir le cercle de nos réunions et s’approprient le projet avec enthousiasme. Des comités voient le jour (agriculture familiale, arts et culture, écologie et énergies renouvelables, etc.) afin de responsabiliser les membres et favoriser les initiatives.

Nous comptons réaliser une étude de faisabilité, afin d’identifier les problématiques auxquelles font face les populations des trois villages avoisinant la concession rurale de Ballabougou, et de voir quelles solutions le projet d’écovillage culturel pourra apporter. Déjà, les chefs coutumiers et les griots nous ont accordé leurs bénédictions. La terre de Ballabougou a été cédée il y a trois générations afin de créer une zone tampon entre deux cantons, à propos d’un litige foncier. Elle est alors devenue un symbole de paix dans la région du Mandé. Nous souhaitons aujourd’hui lui redonner sa vitalité d’antan, tout en protégeant son riche patrimoine écologique, de la rive du fleuve Niger à la forêt arborée, en passant par la plaine. Une superficie de 189 hectares que nous comptons gérer sous la forme de la fiducie foncière habitée, une approche foncière somme toute novatrice au Mali, mais adaptée à un projet qui, on l’espère, fera un jour école au pays.

Afin de développer cet écovillage, nous comptons nous appuyer sur les savoir-faire traditionnels ainsi que sur les technologies douces. Des paysans, pêcheurs, menuisiers, forgerons, potières, apiculteurs et artisans malinkés vivent dans les communautés avoisinantes et constituent un vivier de forces et de talents. Notre objectif est de contribuer au développement local durable notamment par l’éducation écologique appliquée, la valorisation de l’agriculture biologique, l’élaboration de haies vives et de vergers, l’architecture sans bois et sans tôle, le développement d’énergies alternatives (biodiésel, énergie solaire et hydraulique) et le commerce équitable des produits maraîchers et artisanaux. Le développement du tourisme solidaire fait également partie de nos perspectives à long terme.

La notion d’écovillage est encore peu connue en Afrique de l’Ouest. Quelques écovillages existent déjà ou sont également en phase embryonnaire dans les pays voisins (Sénégal, Burkina Faso, Ghana), mais les initiatives demeurent frileuses alors que tout reste à faire en terme de protection de l’environnement. Les menaces sont bien réelles: désertification, contamination des sols et des eaux par les pesticides, dégradation des sols, etc.

Prises dans la spirale de l’appauvrissement, les populations locales doivent lutter pour leur survie au quotidien. Dans cette perspective, difficile de penser en terme d’écologie, alors des actions entreprises en ce sens peuvent avoir une incidence bien réelle sur la qualité de vie. Gardons l’espoir que l’éducation et la sensibilisation pourront induire des comportements en faveur d’un développement communautaire alternatif et durable.

Pascalô Vallières Cofondateur de CIBARA

Les commentaires sont clos.