La résistance contre l’incinérateur Bennett en Gaspésie

par Bob Eichenberger Dans les années ‘70, une doyenne de la nation Cris parla d’une prédiction à un jeune homme qui fut ensuite un des fondateurs de Greenpeace. “Il viendra un temps où tout le mal de ce monde fera ressortir le bien. Alors s’élèveront les Guerriers de l’Arc-en-Ciel, qui , au lieu de combattre le mal avec des armes, combattront la haine par l’amour.” Ça fera bientôt un an que la population des deux côtés de la Baie des Chaleurs lutte contre le premier d’une série de projets qui détruiraient une des plus belles baies du monde. Ça commence par les groupes écologistes, Bathurst Développement Durable et le Conseil de Conservation du Nouveau-Brunswick qui constatent que l’étude d’impact soumise par la firme Bennett est incomplète et bidon. On le constate encore plus aux deux assemblées organisées par la compagnie. L’étude d’impact environnemental a plusieurs lacunes dont voici les plus évidentes: Le modèle de dispersion des vents est erroné et contredit d’autres études. On peut souvent voir de nos propres yeux le nuage jaune de la centrale thermique de Belledune, qui traverse la baie, surtout durant les nuits chaudes. Et pourtant, durant la présentation à Belledune, suite à notre première manifestation, on nous disait que la dispersion se faisait vers l’est et ne dépasserait pas un kilomètre . Aussi, l’étude a été faite pour des sols contaminés aux hydrocarbures et non pour des déchets aux furanes, dioxines, BPC et autres. Mais les représentants de Bennett ne peuvent garantir qu’ils n’en passeront pas dans leur incinérateur. Plus tard, le gouvernement inclut tous ces polluants dans la présentation du projet de permis d’opération. On a aussi omis de considérer les effets cumulatifs des autres polluants, la bioaccumulation, la concentration dans les produits agricoles, les perceptions négatives pour le tourisme et le commerce, le transport des sols contaminés et l’enfouissement de ceux-ci, même après le brûlage, les effets déjà mesurables à l’usine de Saint-Ambroise, au Lac Saint-Jean, le refus des incinérateurs ailleurs dans le monde, le précédent légal qui ouvre la porte à d’autres industries polluantes et l’expression unanime de la population des deux côtés de la Baie des Chaleurs qui ne veulent plus de ces industries qui nous rendent malades. Le déficit démocratique. Considérons la pétition. 70 000 signatures, 52 municipalités, 134 organismes qui disent clairement qu’on ne veut pas de cet incinérateur. Avons-nous tous tort ? Pourquoi est-ce qu’on se donnerait tant de trouble? On se trouve donc devant une situation de frustration intense, surtout à cause des réponses arrogantes et méprisantes de la part des politiciens et industriels partenaires. Malgré cette frustration, le premier constat est qu’il n’y a pas eu de violence. Je prends ce temps pour féliciter toute la Baie des Chaleurs qui a procédé minutieusement, poliment, respectueusement, même quand le respect n’était pas réciproque. Que se soit les organismes, les groupes écologistes ou les groupes d’affinités, on a épuisé toutes les démarches imaginables. Sur les plans politique, légal et médiatique. Deuxièmement, la situation nous a motivés à apprendre. Les gouvernements ont perdu leur crédibilité, mais malgré que l’on déplore les magouilles, ces comportements ont servi à nous responsabiliser. Les groupes citoyens de la Baie des Chaleurs ont dû faire leurs propres recherches, évaluer les références et diffuser l’information. La population mobilisée s’informe depuis juin 2003. Nous étions à la conférence du docteur Paul Connett, référence mondiale sur les incinérateurs et leurs effets. De notre côté, nous avons des associations de médecins, des chimistes environnementaux et toute une gamme de technologues en environnement et en écologie appliquée. L’Internet est un véritable système d’échange d’information qui nourrit notre action depuis le début. On continue à évaluer des solutions alternatives plus écologiques. La bioremédiation, la réduction par hydrogène et les traitements en systèmes fermés permettent de traiter les terres contaminées sur place, en évitant les dangers et l’injustice du transport. L’un utilise des bactéries, champignons, levures; l’autre utilise des réactants chimiques en systèmes fermés pour lyser les molécules les plus coriaces et toxiques. Ça détruit les polluants au lieu de les répandre chez les pauvres. Le désavantage? C’est plus cher et plus long, donc ça ne permet pas aux spéculateurs de réaliser des profits rapides. Aussi, sans le transport, les industriels demeurent responsables des dommages qu’ils ont causés. Depuis l’alerte donnée par Environnement Vert Plus de la Baie des Chaleurs, les premières rencontres et les premières pétitions, il y a eu des événements et des activités à toutes les semaines ou presque. On pourrait en écrire un livre. Jamais a-t-on vu une telle mobilisation en Gaspésie et une telle solidarité. Fini les chicanes de clochers! Anglophones, francophones, Acadiens, Micmacs, Irlandais et autres, nous sommes tous unis. La communication est désormais ouverte et les liens et amitiés se forment pour toujours. On dirait que parfois, ça prend une situation extrême pour qu’un peuple arrive à évoluer et intégrer les changements nécessaires à son adaptation. Ça prenait un Bennett, un Martin, un Charest, un Bush, pour nous pousser collectivement à réaliser des exploits dont on ne se serait pas crus capables auparavant. Ce conflit nous motive aussi à mieux connaître l’être humain et la planète d’aujourd’hui. De plus en plus, on parle d’un déséquilibre dans le comportement humain. D’où vient ce désir incontrôlable, chez certains, d’acquérir toujours plus de profit et de pouvoir? D’un cancer de l’instinct de survie menant à une insécurité chronique? D’un manque profond de l’estime de soi qui nous pousse constamment à compenser pour tenter de compléter le vide que l’on ressent? D’une dissociation de l’âme avec l’amour, la nature et le spirituel? Je vous encourage à voir le film “La Corporation” qui tente d’expliquer la collusion pathologique entre les gouvernements et les industriels. Un autre aspect est exploré par le livre “Greed Addiction” de Philip Slater, qui établit des parallèles avec d’autres toxicomanies de façon à ce que l’on ne réagisse pas avec haine envers les humains qui nous font du tort. Il ne s’agit pas d’un mal diabolique mais de problèmes causés par des déséquilibres mentaux. La compréhension, la compassion et la fermeté dirigées par l’amour seront plus efficaces pour nous ouvrir une voie vers un futur viable et aider à guérir ceux qui ne peuvent pas s’empêcher de nuire. Mes dignes adversaires, comment est-ce que je pourrais ne pas vous aimer? Nous allons encore tellement apprendre ensemble! Pendant que nous apprenons le dépassement de soi, la solidarité et la démocratie, on vous apprendra le “lâcher prise”, la confiance en la nature et la guérison. Nous, les groupes écologistes et citoyens n'accepteront jamais de passer à un système d'impérialisme corporatif industriel où l'humain moyen devient une commodité remplaçable. On continuera à travailler sans relâche pour un monde qui sera démocratique, écologique, responsable et équitable, dans un monde post-industriel. En prévision d’un “Été des Chaleurs”, des actions directes qui empêcheront le fonctionnement de l’incinérateur, de la formation en désobéissance civile non-violente se donneront tout l’été, à la “Grange” de Saint-Louis de Gonzague, à dix kilomètres au nord de Saint-Omer, dans la Baie des Chaleurs. Nos actions mêleront le spectaculaire, l’humour et la fermeté pour communiquer le changement. Joignez-vous à nous! C’est joyeux et encourageant de faire partie de la solution. 

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