Le canot d’écorce: son histoire, sa construction

par Guillaume Marcotte

« Mon canot est fait d’écorce fine Que l’on pleume sur les bouleaux blancs Les coutures sont faites de racines Les avirons de bois blanc » Vieille chanson de Voyageurs

Les temps anciens Qui n’a jamais entendu parler du fameux canot d’écorce? Cependant, bien peu pourraient en raconter l’histoire ou en décortiquer la méthode de fabrication. Comme pour bien d’autres symboles nord-américains, les idées préconçues et les stéréotypes ont souvent prévalu sur la vérité historique.

Le canot d’écorce, inventé par les Amérindiens il y a plusieurs milliers d’années, était d’abord le moyen de transport des gens du Nord. En effet, plusieurs nations autochtones n’avaient aucune tradition canotière, du moins à l’arrivée des Français en Amérique. C’était le cas des Miami, Meskakie (Renards) ou encore des Illinois. Ces gens habitaient près des Prairies et leur mode de vie n’exigeait pas de canot (la traite des fourrures n’étant pas commencée de façon intensive). D’autres peuples, comme ceux du Mississippi inférieur, utilisaient plutôt des pirogues creusées dans de gros arbres, car les canots d’écorces auraient vite été troués et mis en pièces par les nombreux arbres morts encombrant ce fleuve. Les pirogues étaient aussi bien utiles aux sédentaires de la côte Ouest comme les Haïda ou les Nootka, qui naviguaient en mer. Enfin, la peau servait à recouvrir les embarcations des septentrionaux Inuits et Aléoutes, qui ne disposaient pas d’autres matériaux. La peau d’orignal fut également utilisée pour fabriquer les canots de certains peuples des Rocheuses n’ayant pas accès à de bonnes écorces. On voit que le fameux canot d’écorce était loin d’être la seule manière de se déplacer sur les eaux du continent.

Bien que le bouleau blanc (Betula papyrifera) fût l’arbre qui donna son écorce au plus grand nombre de canots, on utilisa aussi localement, selon les ressources, l’écorce de l’orme et de l’épinette. Les meilleurs canotiers et fabricants de canots étaient les nomades des forêts du Nord : Algonquins, Ojibwés, Potawatomis, Outaouais, Cris et bien d’autres encore. Les Français établis en Amérique utilisèrent très tôt ces canots et se mirent à fabriquer d’énormes embarcations de 12 mètres appelées « canots de maître » ou « canots de Montréal ». Le centre principal de construction était Trois-Rivières. Ces canots, ainsi que d’autres plus petits, furent employés jusqu’au début du vingtième siècle dans la traite des fourrures. Les Amérindiens les utilisèrent encore un peu plus longtemps jusqu’à ce que les canots de toile ou d’aluminium les supplantent. Tradition avant tout autochtone, le canot d’écorce est aussi devenu un trait culturel des Français d’Amérique. En effet, plusieurs Québécois de souche n’imaginent pas que certains de leurs ancêtres ont manœuvré ces beaux canots jusqu’au Nord-Ouest profond, habillés d’un pagne, de mocassins et d’une chemise de toile, partageant le feu des Cris, des Sioux ou des Hurons-Wendat.

Construction et usage

La construction du canot ne peut qu’être résumée, car un volume entier ne serait pas de trop pour en expliquer les détails. Je conseille donc à ceux et celles qui seraient sérieusement intéressés(es), de pousser la recherche à l’aide des références en fin d’article.

Tout commence par la recherche et la préparation des matériaux, tâche qui à elle seule peut nécessiter une bonne dizaine de jours. L’écorce de bouleau proviendra d’un gros arbre sain d’un diamètre d’au moins 35 cm. De plus, l’arbre devra être exempt de branches sur une longueur équivalente à celle du futur canot (idéalement). L’arbre est abattu et l’écorce est prélevée délicatement puis enroulée dans le sens de la largeur, côté interne à l’extérieur. On parle souvent de prélever l’écorce au début du printemps, alors que visiblement certains semblent la cueillir au mois de juin…

La charpente est fabriquée de bois de cèdre (Thuja occidentalis) et de bouleau blanc. Une douzaine de billots de cèdre d’environ 1 m 40 et d’un diamètre de plus ou moins 15 cm sont nécessaires pour un petit canot. Ceux-ci doivent avoir le moins de branches possibles, tout en ayant une écorce non tordue. De longues sections de bouleaux équarries à la hache seront aussi indispensables pour les plats-bords et les traverses.

Au moins un kilo de gomme d’épinette servira à colmater les coutures du canot. Ces dernières sont faites de racines du même arbre.

L`artisan étend d’abord l’écorce sur une surface sableuse et plate, le côté externe vers le haut. Une sorte de moule de bois est placé sur l’écorce pour donner à celle-ci la forme du fond de l’embarcation. Il met ensuite quelques grosses pierres pour retenir le tout en place. De l’eau bouillante vient assouplir l’écorce qui sera découpée puis pliée sur les côtés afin de former le canot. Des pièces supplémentaires d’écorce viennent souvent s’ajouter pour obtenir des côtés suffisamment hauts, surtout au milieu où le fond plus large nécessite naturellement plus d’écorce. Toutes les jonctions d’écorce sont cousues à l’aide de racines fendues et assouplies à l’eau bouillante. Elles sont aussi colmatées de gomme d’épinette préparée spécialement pour cet usage.

Le cèdre servira à confectionner les varangues (côtes), les lisses de fond (fines languettes tapissant toute l’écorce et placées entre celle-ci et les varangues), la forme de contour, ainsi que la charpente des pinces du canot. Une fois les traverses posées et maintenues en place par des mortaises et des liens de racines, les varangues sont pliées puis disposées tout le long du canot où elles seront mises à sécher pour conserver la bonne forme. Une fois retirées, les pinces du canot sont terminées et les rebords lacés à intervalles réguliers. Les varangues sont finalement posées par-dessus les lisses de fond. Elles sont fixées entre celles-ci et les rebords et maintenues en place par un plat-bord définitif de bouleau.

Un artisan chevronné peut effectuer la construction proprement dite en une semaine. Tout ceci peut paraître difficile à suivre, mais le fait de voir de ses yeux les différentes étapes rend la chose possible, à savoir construire son propre canot d’écorce.

Le résultat de ce travail minutieux est plus que satisfaisant : une embarcation entièrement naturelle, pratiquement imputrescible (l’écorce de bouleau et le cèdre possèdent cet avantage) et très légère. On la manœuvre habituellement agenouillé au fond. Elle est bien sûr plus fragile face aux rochers qui peuvent la déchirer. Toutefois, la nature faisant bien les choses, le matériel nécessaire à sa réparation se trouve dans la forêt : pièces d’écorce, gomme d’épinette et racines. D’ailleurs, on transportait autrefois ces fournitures essentielles lors des voyages, au cas où les zones traversées n’offriraient pas de telles commodités (Grand Nord, Prairies).

Oui, le canot d’écorce est plus fragile, plus « versant »…

Mais c’est pourtant à son bord que le continent a été traversé maintes et maintes fois…

Références:

« César et son canot d’écorce » Film de Bernard Gosselin. 1971. ONF Fabrication d’un canot par César Newashish, Atikamekw de Manouane

Le canot d'écorce à Weymontaching par C. Guy (1970) Édité par le Musée canadien des civilisations (épuisé).

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