Le temps de l’écorce: Survivre et prospérer en forêt

par Guillaume Marcotte

“Te souviens-tu mon père, et vous tous qui n’êtes plus, du temps béni de l’écorce?”

Yves Thériault. ASHINI

  Il m’est arrivé souvent de penser, en ces “temps fous”, que si la guerre venait à nous rattraper, je pourrais m’enfoncer encore plus profondément dans la forêt. Quoique j’y vive déjà, la brousse épaisse d’épinettes et de sapins, de peupliers et de bouleaux tordus m’appelle irrésistiblement. Avec le temps, j’ai “domestiqué” mon environnement immédiat et ce n’est que lorsque je m’enfonce plus loin que je dis que “je vais dans l’bois”. Mais encore faut-il que la Terre devienne une Mère, que les formes étranges et inquiétantes des arbres la nuit deviennent une coquille protectrice, une enveloppe. La chaleur, les moustiques et le trop-plein de vert doivent saturer l’esprit. On devient alors une partie de la forêt. Je vais aborder le sujet dans l’optique de quelqu’un qui se réfugie dans la nature, plutôt que celle de la “survie forcée”. C’est le printemps dans la forêt boréale. La neige est pratiquement toute fondue et je m’en vais entailler quelques bouleaux blancs. Même dans le nord, où l’érable à sucre ne pousse plus, il est possible de tirer du sirop sucré de la sève du bouleau blanc. Elle coule abondamment, bien qu’elle soit beaucoup moins sucrée. Le processus est long et c’est pourquoi je me contente d’une petite quantité. Bientôt les jeunes pousses d’Épilobes apparaissent et j’en profite pour en manger chaque jour, bouillies quelques minutes. Ces plantes furent l’ordinaire printanier pour des générations de coureurs des bois. Juin arrive et les jeunes saules s’offrent avec toute leur générosité pour que j’en prélève l’écorce. Je taille dans de jeunes troncs de quelques centimètres de diamètre de longues bandes d’écorce avec mon couteau. Lorsque l’arbre est plein de sève, les bandes se détachent très facilement. J’en récolte une grande quantité puis sépare, toujours avec le couteau, l’écorce interne de l’écorce externe. La première sera enroulée et séchée. Plus tard, lors de journées pluvieuses ou en hiver, je trempe ces bandes d’écorce pour les ramollir et je confectionne une multitude d’objets. Surtout des paniers. La vannerie est une technique essentielle à mon avis. Elle permet la fabrication de hottes pour la cueillette des fruits sauvages et des noisettes... Quand les épis de quenouilles apparaissent, avant que leur enveloppe ne se détache, j’en cueille abondamment pour les manger comme du maïs, bouillis quelques minutes. (J’en ai d’ailleurs déjà mangé pendant plusieurs jours, étant à court de nourriture... et d’argent!). Cabane Plus tard, quand le pollen se détachera, j’en cueillerai à nouveau pour faire sécher ces épis. Ce pollen, avec les épis mâles ouverts, sera mélangé avec une quantité égale de farine de blé, doublant ainsi mes réserves et donnant de belles crêpes dorées. Si la pénurie se fait sentir, les racines seront ramassées à l’automne, puis séchées. Elles pourront servir de bonne farine. Août amène les fruits et l’abondance. Surtout les bleuets, framboises et amélanchiers (petites poires). Je connais un site où je peux cueillir 9 espèces différentes. Les surplus seront séchés sous forme de pâte étendue en plaques très minces. Les fruits du pimbina, eux, je les mangerai durant l’hiver, puisque je peux en cueillir jusqu’au coeur de la saison froide, le froid en améliorant le goût. Puis, l’automne giboyeux. Un chasseur m’apporte de bonnes portions de viande d’orignal fraîche. Qu’il s’agisse du fruit de mes propres chasses ou de celles d’autrui, la conservation de la viande est un bon défi en pleine nature. La meilleure technique demeure le séchage. C’est ainsi qu’on fabriquait jadis le “pemmican” avec la viande de bison. Nourriture de base pour l’hiver et aliment des plus énergisants. La viande est découpée en fines bandes et posée sur un support de baguettes de bois, au grand soleil. Retirer la peau Quand la viande est bien sèche, je la pile dans un bol de bois et la réduit en poudre. Ensuite, je la mélange à un poids égal de gras animal fondu et à un demi-poids de fruits d’amélanchiers séchés et écrasés. Le tout peut être enveloppé dans une écorce de bouleau propre ou tout autre contenant et placé dans un endroit frais. Le pemmican, consommé tel quel ou réhydraté dans une “soupe”, fut utilisé par les “hivernants”, ces Voyageurs qui passaient tout l’hiver aux postes de traite du Nord-Ouest profond, s’approvisionnant chez les Métis du Manitoba et de la Saskatchewan. Lorsqu’un animal est sacrifié pour les besoins de l’être humain, rien ne doit être gaspillé. Si le manque de protéines pousse à chasser un écureuil ou une marmotte, la viande en est bien sûr consommée, mais d’autres éléments sont aussi précieux. Trappage Les os peuvent servir de matériaux à la fabrication d’alênes ou d’aiguilles, en situation précaire. Je me fais un devoir de bien écorcher l’animal pour conserver la fourrure et la tanner. Plusieurs petites peaux peuvent devenir un chapeau d’hiver des plus utiles. Voici d’ailleurs comment procéder pour une petite fourrure. Je coupe la peau autour des chevilles puis le long des jambes jusqu’à la queue. La peau est retirée des jambes puis la queue est coupée (je n’en vois pas personnellement l’utilité). Ensuite, je tire sur la peau comme on retire un gant. Les bras sont retirés de la même manière, puis la peau autour des poignets est coupée. Rendu à la tête, la peau est tirée jusqu’à ce que je voie les oreilles, m’empêchant de continuer. Elles sont coupées au ras de la tête, même chose pour les yeux. Le tour de la bouche est finalement coupé. J’enfile la peau, côté fourrure à l’intérieur, sur un moule plat en bois, pour l’étirer légèrement. Je dégraisse la peau en la grattant avec un outil à angle aigu mais non tranchant, comme un os aiguisé. Ensuite, je frotte la peau avec le cerveau de l’animal mis en purée, avant qu’elle ne soit sèche. On peut utiliser aussi un mélange de gras et de savon fondu ou encore un oeuf battu dans un peu d’eau tiède. La substance choisie est incorporée à la peau plusieurs fois puis je la travaille manuellement jusqu’à ce qu’elle soit parfaitement sèche. Je plie la peau dans tous les sens, l’étire, etc. Délicatement, lorsque c’est une petite peau! La fourrure peut ensuite être nettoyée avec de la farine d’avoine (si on en a!). Pour tanner une peau de cervidé ou autre gros animal, voir les références à la fin de l’article. Il est vrai que chasser un animal cause une souffrance. Tout doit être fait pour abréger cette souffrance. Le plus grand respect et une véritable humilité sont nécessaires. Je remercie l’animal mort et dépose ses entrailles et restes dans le tronc creux d’un vieil arbre. Durant la saison froide, le lièvre peut représenter une importante source de protéines. Je pose des collets sur ses sentiers qui sont bien démarqués dans le sous-bois. De véritables petites autoroutes. Les collets sont installés à un vieil arbre solide bordant le sentier. Un petit arbre solide est placé en diagonale et des broussailles de chaque côté. Le seul passage est le trou (d’un diamètre de 9 à 10 centimètres), formé du collet de fil métallique. Le lièvre, en se sentant coincé, se donne un grand élan et s’enroule sur l’arbre transversal, ce qui l’étrangle très rapidement. Mais il peut y avoir des ratés, c’est pourquoi les collets sont visités chaque matin très tôt. La peau du lièvre, retirée comme un gant, peut servir de chaussettes en situation de survie. Ne jamais consommer de lièvres qui semblent malades ou faibles. Ils peuvent être porteurs de tularémie. La perdrix peut facilement être capturée car elle se laisse parfois approcher d’assez près. La technique suivante est illégale mais peut servir en survie. On pose un collet au bout d’une longue perche et on attrape l’oiseau par le cou. On peut aussi fabriquer un arc dans un jeune saule, utilisant son écorce interne tordue comme corde. Les collets métalliques pourraient être substitués par des cordes d’écorce ou de tilleul, de la babiche (peau brute) ou des tendons animaux. Ces quelques trucs ne sont qu’une infime partie des connaissances étendues des Anciens. Ils sont applicables en forêt boréale car c’est dans celle-ci que j’évolue. Les techniques peuvent changer selon le type de forêt et les espèces qu’on y trouve. Je souhaite donc à tout le monde de prendre l’initiative personnelle d’approfondir ses connaissances car on ne peut qu’effleurer le sujet en quelques pages. Ne pas oublier que l’expérience demeure le meilleur apprentissage. Quand le soir vient, j’observe le lac, le ciel, l’herbe et je remercie la Terre et le Créateur de m’avoir permis de vivre cette autre journée d’Homme, une vie entourée de Vie.   Références: Pour le tannage de peaux d’orignal ou de chevreuil, etc., je vous réfère un excellent livre: Deerskins into Buckskins, par Matt Richards, Backcountry publishing www.braintan.com

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