Rétablissement des écosystèmes endommagés  

par Bob Eichenberger Il est démontré que la régénération naturelle est nettement plus rapide et efficace que les arbres de plantation. Mais on peut aussi donner un coup de main à cette plantation de nouveaux arbres. En adaptant les méthodes de rétablissement écoforestier, on peut  ramener des territoires dévastés à un bon couvert forestier dans un temps record, soit de dix à vingt ans. Ainsi, on limite les dommages aux sols qui prendraient des millénaires à se réparer. Pendant cent millions d’années et plus, la forêt n’a jamais eu besoin de notre aide. La nature a toujours la meilleure solution à son problème. Mais une coupe à blanc à la machinerie lourde ne ressemble à aucun phénomène naturel.  Donc la nature réagira d’une manière qui n’est pas naturelle (si je puis m’exprimer ainsi).  Elle réagira d’une manière extrême à une blessure extrême. Dû au plein soleil qui réchauffe le sol,  toutes les semences présentes se mettent à germer pour recouvrir le précieux sol et ce,  le plus rapidement possible. Le problème c’est que la végétation, devenue trop dense, peut stagner dans le stress de la compétition pendant des dizaines d’années. À la longue, les arbres les plus adaptés à la compétition prennent la place de ceux qui le sont moins et qui meurent.  Et pourtant, ce n’est pas parce que certains arbres supportent mieux la compétition qu’ils sont les mieux adaptés à survivre et à se perpétuer dans une forêt normale ou de climax. Alors si, au moment judicieux, un écoforestier vient choisir des tiges d’avenir; selon ses besoins (mais aussi au hasard en suivant son intuition), il aura allégé le stress de la compétition, il aura accéléré le retour de la forêt d’une trentaine d’années, et il n’aura pas fait de tort. C’est ce que la nature voulait faire de toute façon;  il l’aura juste aidée un peu. Voici quelques exemples de  rétablissement écoforestier de milieux  endommagés: La méthode bradley  (protection intégrale) Cette méthode vient de deux sœurs en Australie qui cherchaient à “inviter” la nature originale à revenir. Elles ont clôturé un espace contre les vaches et les chèvres. Ensuite, elles ont éliminé la compétition des espèces introduites dans le pays sans piétiner les espèces naturelles ou endémiques. Elles ont ainsi encouragé les endroits où la végétation était vigoureuse et productive à coloniser les endroits endommagés et appauvris par l‘érosion ou le piétinement. En voici un résumé... L’exemple de la méthode Bradley: •Protéger un territoire donné des activités de l’homme. •Laisser et/ou encourager la régénération naturelle de toutes les classes de végétaux. •Extraire les espèces exotiques envahissantes pour favoriser les espèces endémiques. •Suivre le nouveau peuplement au cours de ses successions écologiques. •Permettre et encourager ce nouveau peuplement à coloniser des espaces adjacents préalablement endommagés. Pour les lots boisés à vocation agro-forestière, je préfère les traitements qui m’ont été décrits par Léonard Otis sur ses propres terres. La méthode Otis Il laissait un minimum de quatre ans à la régénération naturelle avant de faire une première sélection à la débroussailleuse. Cette méthode laisse des arbres aux mètres carrés, à peu près. Premièrement, on laisse bien plus de tiges d’avenir  que le nombre qui sera retenu pour la forêt mature. Ceci minimise le stress  causé par un ensoleillement subit et la fragilité latérale temporaire des jeunes arbrisseaux. Donc, on espace les arbres pour séparer ou aérer leurs couronnes et on ajoute un peu d’espace qui équivaut à quatre ou cinq ans de croissance, dépendant des espèces. Donc, l’espacement est égal aux  couronnes dégagées, plus un espace pour quatre à cinq ans de croissance. La deuxième sélection se fera après quatre ans ou plus. Ensuite, on continue à jardiner sa forêt en pratiquant ses interventions selon le cas plutôt que selon une norme. Parce qu’il y a tellement de facteurs à considérer, comme on a vu dans la liste de mon article de Aube #8, on doit en tenir compte, même dans le jeu d’espacement de la relève dans les sites endommagés. Il faut se rappeler que c’est la méthode que Léonard Otis a utilisée pour ramener un territoire dévasté par le feu à un couvert forestier productif et de haute qualité commerciale en un temps record d’une trentaine d’années. En procédant ainsi, il a permis à la régénération de croître dans une situation où les arbres sont juste assez denses pour pouvoir s’appuyer mutuellement, et juste assez espacés pour ne pas être stressés par la compétition. Une expérience personnelle Cet exemple peut s’appliquer au rétablissement d’une forêt endommagée, soit par une coupe à blanc, un chablis ou un feu. Ou encore un champ agricole laissé à lui-même, qui a été colonisé par des semences naturelles. Mon amie Jill a acheté une ferme de 70 acres,  (28,3 hectares) en 1997, alors que le champ derrière la maison, environ 2 hectares (2 ha) n’avait pas été engraissé depuis des années. Pire encore,  un producteur y semait et récoltait des patates sans aucun apport à la terre. Ce sol appauvri, labouré, cultivé et compacté était en piètre état. La partie la plus élevée, plus près de la maison et du chemin, environ le tiers, fut prise en main, engraissée de diverses matières organiques et ensuite cultivée. Le restant descend en pente douce vers le ruisseau et la forêt suit un cours plus naturel. Par endroits, on y trouve un bon couvert d’herbacées sauvages, ailleurs on y trouve de la mousse, des stolons de fraisiers et des épervières. En 1998, Martin, le fils de Jill a planté une vingtaine de chênes blancs dans les parties les plus riches. En 2001, je remarque qu’il y a plutôt un mélange d’arbres pionniers qui colonisent le terrain. On y remarque surtout du saule, un peu d’aulne, quelques rares peupliers. Je mesure six pieds et le tout m’arrive environ à la poitrine. En regardant plus près, pour y retrouver les petits chênes, je remarque que cette fardoche est aussi parsemée de bouleaux blancs. Je suis même surpris d’y trouver quelques bouleaux jaunes, un bon nombre d’épinettes et quelques cerisiers de Pennsylvanie. Mes amis et moi étions aussi ravis de trouver un nombre grandissant de pins blancs. C’est encore une autre preuve que les meilleurs planteurs d’arbres sont les animaux! Un soir, juste pour m’amuser un peu, j’étais assis par terre et j’espaçais les jeunes tiges avec un sécateur à main, sur une petite surface de dix mètres par dix mètres. Je trouvais que la croissance avait ralenti par endroits et je voulais tenter une expérience. Habituellement, dans le chaos de la germination en plein soleil, la croissance stagne après un premier jaillissement. Avec des tiges serrées jusqu’à cinq centimètres entre elles, il y a de la compétition au niveau des racines et au niveau des feuilles pour le soleil. Ce sont deux facteurs limitatifs évidents. D’une tige ligneuse aux six pouces en moyenne, j’ai éclairci aux deux pieds, environ. En été 2003, je remarque que mon carré éclairci semble profiter un peu plus. C’est difficile à voir sur une photo, mais sur le terrain, j’en ai une impression nette. En moyenne, je trouve que la croissance est rendue à la hauteur de ma tête, mais dans le carré, les tiges la dépassent un peu. J’avais voulu poursuivre mes expériences d’espacement au mois de juillet, après la croissance et avant l’aoûtement. C’est une période idéale pour éviter  une reprise des tiges qu’on a coupées par les rejets de souches. Mais cette année-là, le temps me manquait. Au mois de novembre, je me retrouve juste avant l’hiver avec ma débroussailleuse, mon sécateur à main, mon sécateur à deux bras et deux grosseurs de machettes. Pour commencer, je m’occupe à faire des petits chemins, là où c’est pertinent, soit vers les campements que les jeunes couples ont montés près du ruisseau à l’orée de la forêt. Quand j’étais petit, j’adorais les petits sentiers dans la broussaille. Ma tendance artistique me fait éviter de faire des lignes trop droites.  Je veux sauvegarder une sensation de labyrinthe. Quand j’arrive devant une espèce moins fréquente ou une belle tige d’avenir, je préfère faire contourner le chemin. Je passe plutôt au travers de la talle de saules, qui finiront par perdre leur place tôt ou tard, dû à l’évolution de la succession des espèces dans la forêt qui s’établit. Notez bien que je n’abats pas tous les saules et les aulnes systématiquement. Mon but est de garder un ombrage pour favoriser un milieu de vie dans le sol par la végétation qui adoucira les extrêmes de température et d’humidité. Je privilégie les espèces à longue durée , les feuillus nobles, les résineux que je trouve utiles, mais je laisse n’importe quelle espèce plutôt que de faire un trou dans la canopée de cette jeune forêt. Donc s’il n’y a qu’un saule, un aulne, un cerisier à grappes, un sorbier à un endroit donné, je les encourage à grandir en hauteur et en volume de tronc, comme tous les autres arbres. Ce terrain peut avoir une vocation un peu plus productiviste vu que c’est près de la maison et que le terrain peut recevoir des apports fertilisants assez facilement. Je prends aussi en considération le classement de vigueur de croissance des espèces sur le terrain. Mon ami Guy a établi, dans son livre sur la taille des arbres ornementaux, cinq classements. Les bouleaux et les conifères sont classés faibles et les saules et les peupliers sont dans la vigueur extra forte. Il ne faut pas oublier que, en général,  les jeunes arbres sont plus vigoureux et que les vieux le sont moins. Les coupes d’éclaircie en automne ont un désavantage. C’est que la plupart des espèces, surtout à croissance vigoureuse, ont emmagasiné des éléments nutritifs dans leurs racines pour reprendre leur croissance au printemps. Voici une raison de plus pour garder le plus d’ombre possible au sol de façon à défavoriser les tiges qu’on a coupées. Les espèces qui profitent mieux au plein soleil feront des rejets de souches qui s’efforceront d’atteindre la lumière. S’ils en sont privés, ils ne survivront probablement pas à l’hiver. Une expérience intéressante à suivre sera d’observer les rejets de souches des saules qui feront des cannes à tiges uniques, sans branches. En automne, ces cannes seront longues et souples à cause de leur effort pour atteindre le soleil. Ce seront des matériaux de choix pour la vannerie, qui devient de plus en plus populaire au Québec. Les sous-bois ne seront que plus dégagés l’année suivante. Comme vous voyez, j’encourage la diversité des espèces et des produits. Je cherche aussi à établir un boisé qui sera aussi charmant que productif et polyvalent. Finalement, je tâche de ne pas toucher à certains secteurs, que je garde comme témoins de l’œuvre de la nature, pour que je puisse continuer à apprendre. J’ai 48 ans, et je n’utilise que très peu de tiges, que de dimension réduite, de ce boisé que je travaille. Mon ami Martin, le fils de Jill, est dans la trentaine et aura peut-être quelques pièces de taille moyenne pour un meuble quelconque dû à des espacements ponctuels ou périodiques vers la fin de sa vie. Sa fille n’a pas encore un an. Ces quelques acres de forêt mixte seront une source annuelle de pièces de qualité qui augmenteront la prospérité de sa vie et de celles de ses descendants. Le travail que l’on fait est notre cadeau pour eux...

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