Un choix de construction viable: le ballot de paille

par Pascal Morel Pas sérieux la construction en paille, du moins pour les adultes qui ont grandi trop vite et qui ont oublié la fantaisie de leur enfance et cette extraordinaire capacité à imaginer le monde autrement. Pour les autres qui ont gardé au coeur l’envie de rêver un monde différent, voilà de bonnes nouvelles. La maison en paille évoquera sans aucun doute des souvenirs de grand méchant loup, soufflant à perdre haleine sur la maison en paille du petit cochon et de celle-ci s’envolant aux quatre vents. Mais le grand méchant loup aura beau souffler de toutes ses forces sur la maison en ballots de paille, celle-ci tiendra contre vents et marées. C’est que, voyez-vous, on lui a joué un bon tour à ce grand méchant loup! En fait, la maison est tellement bien construite qu’elle ne craint ni de tomber, ni de brûler, ni de se décomposer, un peu comme si les trois petits cochons avaient réuni leurs forces et leur travail pour faire face à la menace. Cette métaphore n’est pas fortuite et elle nous aidera à mieux comprendre les enjeux liés à notre manière de construire les maisons et de les habiter. Si aujourd’hui on n’a plus peur du grand méchant loup, ce n’est pas parce qu’il a disparu, c’est qu’il a, tout simplement, changé de forme. En le reconnaissant sous celle de la crise environnementale que traversent nos sociétés dites développées, on comprendra que les petits cochons que nous sommes ont puisé dans leur inconscient collectif et tenté de trouver des solutions à une triple dégradation: des ressources, des écosystèmes et en finalité de la qualité de vie des habitants (toutes espèces confondues) de cette planète. On imagine alors sans difficulté que le danger nous guette et qu’il est omniprésent. Cette crise, provoquée par une surproduction et une surconsommation, semble nous condamner inexorablement à une catastrophe annoncée. Et pourtant, à bien examiner l’histoire des trois petits cochons, on se rend compte également que les solutions existent et qu’il ne faut pas nécessairement aller loin pour les trouver! Des constats Explorons tout d'abord l’impact global de l’industrie de la construction sur notre environnement. On estime que celle-ci utilise jusqu’à 54 % de l’énergie totale consommée, tous secteurs économiques confondus, en tenant compte du transport des matériaux. Au moins 30 % des ressources y sont utilisées, et on lui doit 30 % de la production de déchets. Notre mode de vie n’est pas en reste et nous faisons partie du club sélect des plus grands consommateurs d’énergie, d’eau et de ressources au monde. Nous sommes aussi parmi les plus grands producteurs de déchets. Forts de ces constats, de plus en plus de Québécois et de Québécoises choisissent de construire autrement leur maison. Leur préoccupation première est de réduire leur "empreinte écologique"1 (Wackernagel, Rees) à un seuil acceptable pour la planète et pour les générations futures. Aussi préfèrent-ils construire avec des matériaux dont le cycle de vie réduit considérablement la pression sur les ressources et sur les écosystèmes. Un peu d’histoire La construction de maisons en ballots de paille n’est ni un fait nouveau, ni une histoire pour faire peur aux enfants. Bien au contraire! Une observation de cette réalité à travers les médias (publications, journaux, télévision, Internet) nous montre que cette technique de construction existe et se développe dans plusieurs pays. Celle-ci tire son origine de l’état du Nebraska où des pionniers, venant d’Europe, se sont installés au milieu des années 1800. Dans ces vastes plaines arides et dénuées de végétation, les agriculteurs ont su utiliser les ressources disponibles localement en réalisant une adaptation technologique. Producteurs de céréales, ils ont vite compris l’intérêt qu’ils pourraient tirer de ces grosses briques végétales que leur permettait de réaliser l’utilisation de la presse stationnaire à paille. Construire en paille pour ces colons d’origine européenne n'avait rien de mystérieux puisque plusieurs techniques millénaires de construction utilisent ce matériau amalgamé avec de l’argile. Ailleurs dans le monde, en Asie, en Afrique, en Amérique du Sud, on se rappellera que le matériau le plus utilisé pour construire des maisons a été longtemps, et est encore, la brique adobe. Ce mélange de paille et d’argile est certainement l’ancêtre direct du ballot de paille. La technique est tombée progressivement dans l’oubli vers les années 1950, à mesure que les codes et les matériaux standardisés sont devenus les nouvelles manières de faire dans le domaine de la construction. Suite à ce qu’on a appelé à l’époque le choc pétrolier, qui a nous enseigné que les ressources n’étaient pas illimitées, il faudra dorénavant réduire le gaspillage engendré par la société de consommation. La prise de conscience environnementale qui a suivi a fait ressortir de l’oubli cette manière de construire, au milieu des années 1970, car elle propose une solution à la crise des ressources et à la production des rejets liés à l’industrie de la construction. De fait, celle-ci utilise le résidu d’une pratique humaine incontournable: l’agriculture, qui par la culture des céréales, assure en grande partie la survie de notre espèce. Cette activité annuelle permet au résidu "paille" de devenir une ressource renouvelable abondante et disponible à un coût très faible. Avant d’explorer les avantages liés à la construction en ballots et pour se faire une idée un peu plus concrète, visitons brièvement les principales techniques de construction. Les différentes techniques La technique maçonnée Une des premières techniques à être utilisée au Québec, au début des années 1980, connaît une origine différente. La technique en ballots maçonnés est inventée par Louis Gagné, originaire de l’Outaouais québécois. Après un voyage en Europe où il découvre des manières de construire avec un mélange d’argile et de paille (bauge, torchis, pisé...), il se demande comment adapter ces techniques anciennes aux rigueurs climatiques du Québec. Il imagine alors un système avec des ballots de paille et un revêtement de mortier de ciment. Avec cette technique, les ballots de paille sont liés ensemble par un mortier de ciment, d’une épaisseur de trois pouces environ, sur tous les côtés du ballot, comme on le ferait pour un mur de briques. À la différence près que les ballots seront superposés les uns par rapport aux autres. Cette manière de faire permet d’avoir des petites colonnes de mortier entre chaque ballot, ce qui permet de répartir les charges et de les supporter. Cette technique est porteuse et aucune charpente de bois n’est utilisée dans les murs. Le joint horizontal ne sera pas entièrement rempli, on laisse un espace de 6 pouces de large environ sur toute la longueur du joint, dans lequel on mettra de la paille comme isolant, brisant ainsi le pont thermique. On aura au préalable sélectionné les ballots par longueur, qui peut varier de 28 à 36 pouces, pour avoir des colonnes à égale distance, l’épaisseur et la hauteur d’un ballot ne variant que très peu. Une fois les murs montés, on les enduit de mortier auquel on peut ajouter des pigments pour donner de la couleur. On peut aussi peindre avec un lait de chaux blanc ou coloré. Sur le haut du mur, on clouera une sablière de bois qui sera encastrée dans la dernière couche de mortier et qui servira à ancrer les supports de la toiture. On aura pris soin au préalable de faire les ouvertures pour les fenêtres et les portes, à l’aide de coffrages qui seront installés pendant que les murs seront érigés tout autour. La technique Nebraska Cette technique de montage à sec des ballots de paille est la technique la plus anciennement connue et celle, avec ses variantes, la plus utilisée aux États-Unis. «Il s’agit de murs porteurs constitués de ballots de paille liaisonnés en compression, sans couche de mortier entre les ballots de paille. Ces derniers sont disposés en quinconce comme en est l’usage pour un mur de maçonnerie traditionnelle.»2 (Cauwel, 1999) Plusieurs variantes existent. On peut introduire des tiges de bois, de bambou ou de métal à l’intérieur des ballots pour les fixer entre eux. On peut également comprimer le mur entre deux lisses hautes, servant de sablière, et la fondation: «Cette opération se réalise à l’aide d’un câble qui relie, en périphérie du mur, cette semelle à la lisse haute, puis, redescend et rejoint la semelle côté intérieur.»2 (Cauwell, 1999) Enfin, on peut aussi comprimer les murs en fixant une tige filetée au milieu de la fondation: on passe les ballots à travers la tige et celle-ci traverse la sablière. On boulonne sur le dessus de la sablière et on compresse le mur. La charpente du toit peut alors y être fixée. Charpente de bois et murs de remplissage Dans cette technique, il s’agit de construire une structure de bois, en poutres et poteaux ou en charpente légère, ou encore une combinaison des deux, qui portera les charges. On se rapportera au code du bâtiment pour le calcul de celles-ci. Le ballot servira de remplissage et d’isolation. Cette approche, avec ses variantes, est la plus utilisée au Québec. D’une part, on connaît bien le travail du bois, d’autre part on trouve facilement des scieries locales pour l’acheter. Mais elle permet surtout de poser le toit et de travailler au sec pour la pose des ballots, qui craignent par-dessus tout la pluie. En effet, au moment de la pose de ceux-ci, il faudra s’assurer qu’ils soient le plus sec possible afin de garantir la longévité des murs. Par contre, et contrairement aux autres approches de ballots de paille, elle demande plus de connaissances techniques et l’utilisation d’outils plus sophistiqués. En résumé En fait, on se rend compte que d’un point de vue technique, la construction en ballots de paille connaît une multitude de variantes. Chaque constructeur/trice y va de ses expérimentations. Si la technique Nebraska est la plus simple, elle n’est pas forcément adaptée aux conditions climatiques qui prévalent au Québec. La technique de mur maçonné demande un travail long et fastidieux de brassage de mortier et utilise beaucoup de ciment, dont l’énergie intrinsèque est très élevée. Enfin, la technique en charpente de bois demande plus de qualifications professionnelles, ce qui peut augmenter les coûts. Avant de se lancer dans l’aventure de la construction en ballots de paille, il est fortement conseillé de se documenter, de visiter des maisons en ballots et de discuter avec leurs propriétaires. De plus, il faudra prendre conseil auprès de professionnels qui connaissent la technique pour s’assurer de réaliser le meilleur travail possible et s’éviter bien des erreurs qui peuvent s’avérer coûteuses. Reconnaissance Ceci dit, on doit à Louis Gagné d’avoir fait tester le matériau paille et mortier, avec l’aide d’une subvention de la Société canadienne d’hypothèque et de logement (rapports de recherche: SCHL, 19833; SCHL, 19864). Les tests, qui ont été réalisés sur un prototype de mur, ont permis de vérifier la résistance à la charge, le rendement thermique, la résistance au feu et la pénétration de l’humidité. On constate que celui-ci respecte les normes de résistance à la charge exigées pour la construction résidentielle. Le coefficient d’isolation est équivalent à R35, soit deux à trois fois supérieur au rendement thermique d’un mur à ossature de bois à cette époque. Le mur en ballots, recouvert de mortier, résiste à une simulation d’incendie durant quatre heures au lieu des deux heures trente requises, lui conférant ainsi une résistance exceptionnelle. Enfin, le taux d’humidité à l’intérieur du mur, relevé grâce à des sondes, se situe en moyenne à 13 %, ce qui est très faible puisqu’il n’est pas inhabituel de trouver un taux d’humidité allant jusqu’à 35 % dans une maison en ossature de bois. Plusieurs études ont été réalisées par la suite, et elles tendent toutes à démontrer que le taux d’humidité reste stable et est bien en dessous des 20 % qui pourraient être dommageables pour la paille. Bien entendu, cela s’applique à une construction qui ne présente pas d’anomalies et d’infiltration d’eau accidentelle, résultant d’une mauvaise conception ou d’une erreur, ou encore d’une fissure importante dans le revêtement du mur. Enfin, au Québec, Michel Bergeron, membre fondateur de l’organisme à but non lucratif Archibio, dont la mission est de faire la promotion de la construction écologique, a développé la technique en charpente de bois. Éco-designer, il conseille les constructeurs et auto-constructeurs/trices pour la réalisation de leurs projets et développe une approche de construction originale, la plus naturelle possible. Au Québec, on lui doit entre autres l’utilisation du mortier d’argile au lieu du mortier de ciment comme recouvrement des murs. Il a aussi collaboré, avec Paul Lacinski, à l’écriture du livre Serious Straw Bale (2000)5 qui est la référence incontournable pour qui veut construire en ballots de paille en milieu nordique. Les avantages environnementaux Les avantages liés à cette technique de construction sont multiples. La paille est un déchet dont la disposition provoque la production de gaz carbonique et de méthane, deux gaz à effet de serre. Par contre, en recyclant ce déchet, sans augmenter son énergie intrinsèque, on le valorise et il devient un matériau de construction, neutralisant pour une longue période, par cela même, la production de ces gaz. Une étude (Morel, 2002)6, que nous avons réalisée en collaboration avec Archibio, nous a permis de faire un certain nombre de constats. Les personnes qui construisent en ballots de paille au Québec (sur un échantillon de 24 maisons) se procurent ceux-ci localement, ainsi que le bois pour la charpente, ce qui réduit la production de CO2 relative au transport, tout en favorisant l’économie locale. Elles construisent surtout avec de la paille pour la capacité isolante de celle-ci: chaude en hiver, la maison gardera la fraîcheur en été, réduisant du même coup les frais de chauffage et/ou supprimant ceux de climatisation. Elles ont également tenu compte des gains du soleil pour améliorer les performances énergétiques de la maison tant du point de vue de l’éclairage que du chauffage, en plus de bénéficier de l’effet de masse thermique. Elles ont privilégié les matériaux et les produits de finition les plus sains et naturels possibles pour assurer une qualité d’air intérieur. Elles ont recyclé et utilisé des matériaux locaux. Enfin, toutes ces personnes apprécient l’esthétique des murs épais et crépis qui donnent un aspect chaleureux à ces maisons, dont le coût se compare avantageusement à une maison ordinaire équivalente en superficie et en confort. À ceci près que tous les éléments nommés ci-dessus contribuent à faire de la maison en ballots de paille une approche exemplaire de construction écologique, ce qui lui confère des avantages indéniables que la maison ordinaire ne remplit pas, c’est-à-dire de réduire l’impact sur les ressources, sur la consommation d’énergie, sur la production de déchets et sur la santé, en limitant les produits toxiques et les nuisances à son maximum et en procurant une qualité de vie optimale aux occupants de ces maisons. Tous ces éléments donnent à la maison en paille, particulièrement dans sa version recouverte d’argile, un cycle de vie exceptionnel. En effet, elle utilise le résidu d’une autre activité, elle consomme moins d’énergie pour sa production et son fonctionnement et, à la fin de son cycle, elle se décomposera en laissant un minimum de produits non biodégradables ou toxiques dans la nature! Conclusion La construction en ballots de paille est donc une belle histoire. Les briques de paille, qui donnent à notre maison de petits cochons une telle solidité, nous surprennent à rêver et nous permettent, du moins temporairement, de reléguer aux oubliettes notre peur du grand méchant loup. Non seulement la maison aura réduit son impact sur l’environnement, mais elle aura permis aux trois petits cochons de solidariser pour faire face à la menace. Sachant que ceux-ci se contentent d’un mode de vie frugal, on peut penser, à l’image de leurs confrères bâtisseurs, que cette solidarité dans l’acte de bâtir et dans le mode de vie dont ils font preuve, participeront à définir et à mettre en place des établissements humains viables. En effet, la transmission des savoirs et la réalisation de ces maisons donnent lieu à des corvées et des ateliers sur les lieux de construction qui permettent de renouer avec des valeurs d’entraide, de solidarité et de convivialité. Le profil des personnes qui construisent nous montre aussi qu’elles ont modifié leur mode de vie. Elles réduisent leur empreinte écologique à un seuil plus acceptable et celui-ci s’apparente à la Simplicité Volontaire. Enfin, cette technique se développe dans plusieurs pays, laissant entrevoir la possibilité qu’un mode de vie responsable est en émergence et rallie de plus en plus de personnes sur la planète. Passant de la prise de conscience à la réalisation pratique, on peut affirmer sans peine que les éco-constructeurs et éco-constructrices ont fait leur cet adage: «Penser globalement, agir localement, être personnellement» (Steeve Van Matre). Références: 1 Mahis Wackernagel et Rees William. 1999. Notre empreinte écologique: Comment réduire les conséquences de l’activité humaine sur la Terre. Montréal: Les éditions écosociété, 211 p. 2 Cauwel, Arnault. 1997. L’architecture en paille, École d’architecture de Lille et des régions du Nord, 175 p. 3 Société canadienne d’hypothèque et de logement. 1983. Mur porteur fait de ballots de paille et mortier, 32 p. 4 Société canadienne d’hypothèque et de logement. 1986. Maisons de ballots de paille et de mortier: projet de démonstration. Rapport final préparé par Louis Gagné, 42 p 5 Lacinski, Paul. Michel Bergeron. 2000. Serious Straw Bale: A Home Construction Guide for all Climates. Vermont: Chelsea Green Publishing Company, 372 p. 6 Morel, Pascal. 2002. La construction en ballots de paille: une réponse à la conservation de l’environnement. Mémoire de maîtrise. Université du Québec à Montréal, 116 p. Pour en savoir plus: www.archibio.qc.ca

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