Aperçu du processus au Campement Jeunesse 2005

par Patrick Cadorette Le succès d’un campement autogéré est à la mesure du respect que ses participant(e)s apprennent à se vouer les un(e)s aux autres en cohabitation. L’écoute de l’autre est cruciale. Une expérience autogestionnaire saine doit tenir compte de l’apport de chacun(e) de ses participant(e)s, aussi bien dans le développement des modes de fonctionnement que dans l’organisation et le partage des tâches et responsabilités. Les « Va-nu-pieds » Le processus lui-même est l’objet d’une attention soutenue au Campement. En quelque sorte, le processus EST le Campement. Ultimement, les participant(e)s sont les uniques responsables de l’expérience et doivent en assumer totalement la construction (au sens large) et le fonctionnement. L’urgence pour les campeurs-euses de définir ensemble un sens et une direction au projet motive la création d’espaces de réflexion sur le processus. Cette année, le forum des « Va-nu-pieds » a été créé pour permettre les échanges et les débats sur l’évolution du projet, l’état des communications, les enjeux de coordination, le suivi, etc. Bref, sur le processus. Exemples de thèmes de forums: ce qui motive la participation des personnes au Campement; alimentation végétarienne, végétalienne ou omnivore; la représentation du Campement dans les médias; la procédure en assemblée générale; les enjeux de genres en espaces non mixtes, etc. Pour s’assurer que le processus s’appuie sur une ouverture et une compréhension mutuelles, une des premières étapes du Campement fut l’adoption ─ par recherche de consensus ─ d’un ensemble de procédures et de conventions servant à soutenir la coordination. Il s’agit en quelque sorte d’un contrat social temporaire, perpétuellement sujet aux amendements qui pouvaient être proposés au cours du processus. C’est par l’expérience que ces méthodes variées sont mises à l’épreuve. Ainsi se rend-on compte qu’au fil des campements – soient-ils locaux ou internationaux –, les différents modes d’opération jugés efficaces sont consignés dans la mémoire collective et se transmettent d’une expérience à l’autre pour former une expérience commune. C’est sur cette base que s’appuie la coordination des prochains campements. Le CQJ 2005 a bénéficié de l’expérience développée au cours des deux précédentes éditions québécoises, ainsi que du bagage accumulé par plusieurs participant(e)s dans le cadre de divers projets autogérés, campements jeunesse et villages anticapitalistes. Horaire quotidien La première étape a été de déterminer un canevas d’horaire quotidien. Ce canevas devait premièrement inclure les trois repas et l’assemblée générale, élément essentiel de la coordination autogestionnaire. Il devait ensuite intégrer les éléments de programmation confirmés et les activités spontanées, les tâches quotidiennes et les travaux de construction, les activités récréatives et, pour la première fois cette année, l’espace de discussion sur le processus, le forum des « Va-nu-pieds ». Comme tout au campement, la programmation est évolutive. Modèle d’horaire quotidien au CQJ 2005
  •  7 h 30: Appel au réveil.
  • 8 h 00: Déjeuner.
  • 9 h 00 à 11 h 00: Assemblée générale.
  • 11 h 00 à 13 h 00: Première période réservée aux ateliers proposés par les participant(e)s. Si l’AG déborde sur cette période, il est nécessaire de redéfinir l’horaire de la journée sur le tas.
  • 13 h 00 à 14 h 00: Dîner. Souvent, la période du dîner sert à faire des annonces et à ajuster l’horaire de la journée en fonction des nouvelles informations accumulées au cours de l’avant-midi.
  • 14 h 00 à 18 h 00: Deuxième période d’ateliers et/ou d’activités.
  • 18 h 00: Forum des « Va-nu-pieds », un espace d’échange sur le processus. On y débat, entre autres, des enjeux de fond soulevés au cours de l’AG ou de la journée, mais dont on a choisi de ne pas débattre en AG pour ne pas l’alourdir.
  • 19 h 00: Souper.
  • 20 h 00 à…: Dernière période d’ateliers et d’activités récréatives.
Le bar est généralement ouvert +/- à l’heure du souper. L’AG (assemblée générale) Principal outil de coordination du processus autogestionnaire, l’AG est le moteur politique du campement. L’assemblée matinale du CQJ 2005 avait pour but de permettre et promouvoir une participation généralisée au processus de coordination et de décision. Un certain nombre de rôles clés sont définis d’avance pour faciliter le suivi. Il existe une infinité de modes de coordination possibles. Certains s’avèrent efficaces, d’autres moins. L’essentiel est de s’assurer que le guide des procédures reste souple et sujet aux améliorations apportées au cours du Campement. Par exemple, le 24 août, au neuvième jour du Campement, l’assemblée a adopté un ensemble de mesures pour améliorer le mode de fonctionnement en AG. L’application de ces mesures s’est prêtée à l’évaluation collective deux jours plus tard et, à cette occasion, la polémique sur la pertinence des procédures a été relancée jusqu’aux « Va-nu-pieds » du soir. Modes de coordination antérieurs (CQJ 2003) Le concept des deux assemblées (une le matin pour la projection quotidienne; une le soir pour l’évaluation du déroulement de la journée) était très bon en termes de transparence, mais alourdissait considérablement l’horaire et débouchait sur un ensemble décousu. (CQJ 2004) L’assemblée du soir était relativement fonctionnelle mais souffrait de la fatigue des participant(e)s et de l’anticipation du « contexte informel » qui agite les soirées du Campement. L’énergie était dissipée, la concentration plus difficile et l’aspect fastidieux du processus affectait la participation. La coordination s’en trouvait moins transparente. La convention qui s’est dégagée le plus clairement de ces expérimentations est la nécessité d’assurer un suivi entre les assemblées et de faciliter ce suivi par la prise de notes systématique. Modèle d’ordre du jour au CQJ 2005 Mot de bienvenue; Présentation des facilitateurs-trices, des secrétaires et « Gardien(ne)s du Ressenti »; Proposition de l’ordre du jour, ajouts et amendements, présentation des procédures en AG; Tour de cercle, brèves présentations des personnes présentes; Présentation/impression du Campement par une personne différente chaque jour; Retour sur le travail par comités présentés par les « Antennes » de chacun des comités, priorisation des tâches, nomination des nouvelles « Antennes »; Recomposition des comités; Survol de la programmation de la journée; Nomination du comité « Suivi »: un facilitateur et une facilitatrice, un(e) secrétaire et un(e) ou plusieurs « Gardien(ne) du Ressenti ». Ce nouveau groupe assurera le relais entre les délégués du jour et du lendemain et préparera l’ordre du jour de la prochaine AG; Varias et annonces; Bilan de l’assemblée par le/la/les « Gardien(ne)s du Ressenti »; Dissolution de l’assemblée. Propositions de procédures adoptées à l’AG du 24 août. Que le réveil se fasse de façon graduelle afin de favoriser la ponctualité à la tenue de l'AG, prévue pour 9 h 00 tous les matins; Que des feuilles et des crayons soient mis à la disposition des participant(e)s au centre du cercle afin d’encourager la prise de notes par toutes et tous; Qu’à chaque début d’assemblée: soit présenté le campement; soient expliqués les différents rôles clés de l’assemblée ainsi que les signes qui composent le code de communication gestuel; soient énoncés les « Cinq conseils pour une AG épanouissante »; Qu’une rencontre de préparation soit tenue par le groupe de Suivi (facilitateurs-trices), secrétaires et « Gardien(ne)s du Ressenti ») avant chaque AG; Que soient tenus, suite aux AG, des espaces de rencontre pour chaque comité, et que ces espaces soient ouverts à tous et toutes; Que chaque comité tienne un journal de bord et que les « Antennes » en fassent la lecture à l’assemblée lors des rapports de comités, avant que les nouvelles « Antennes » soient désignées; Que soit créé un système de tableaux explicatifs de chaque comité, incluant un espace pour les suggestions, que ces tableaux soient accessibles à toutes et tous en tout temps, et que soit instauré un système de « journaux de bord » des comités. « Cinq conseils pour une AG épanouissante » Autoévaluer la pertinence de l’intervention que l’on désire faire en assemblée; Faire en sorte que notre intervention soit concise; Tenter, dans la mesure du possible, de formuler son intervention sous la forme d’une proposition (je propose que…); Conclure en résumant son intervention afin que le propos (et la proposition) soit clair pour toutes et tous ; En position d’écoute: faire preuve de tolérance et de patience, particulièrement à l’égard de ceux et celles qui ne le font pas; être présent d’esprit, bien écouter et enregistrer l’information en assimilant le propos des participant(e)s à l’AG. Rôles clés Facilitateurs-trices: L’animation des AG est une responsabilité délicate. L’exercice exige un niveau d’écoute et une concentration hors du commun. La facilitation est systématiquement assurée par une femme et un homme. Les personnes qui facilitent doivent faire respecter les tours de parole et les autres conventions de l’assemblée. Elles doivent proposer un ordre du jour (préparé à l’avance) et faciliter le relais avec la prochaine équipe. Il est important que le plus de personnes possible expérimentent le rôle de facilitateur. Secrétaires: L’assemblée peut choisir un(e) ou deux volontaires pour dresser un procès-verbal. Gardien(ne)s du « Ressenti »: Le « ressenti » d’une réunion est très important. Les gardien(ne)s veillent à la santé de la communication au sein du groupe. Il ou elle a le droit d’interrompre l’assemblée à tout moment pour signaler et/ou désamorcer des déséquilibres ou des dynamiques conflictuelles. Il ou elle s’assure que les tours de parole soient répartis également par genres. À la fin de l’assemblée, les Gardien(ne)s du « Ressenti » présentent une évaluation du déroulement et de l’ambiance. « Antennes » (traduction approximative du néologisme anglais « bottomliner »): Les « Antennes » sont les agents de communication des différents comités, les porte-parole. Chaque « Antenne » est responsable d’effectuer un suivi des tâches accomplies et de tenir un journal de bord du comité pour en faire un rapport complet à l’AG. Les rôles sont remplis sur une base strictement volontaire et rotative Rotation des rôles et responsabilités Les comités de travail sont des regroupements temporaires. La coordination du Campement encourage fortement la rotation des rôles et des fonctions. Par conséquent, les comités sont à « géométrie variable ». Les « Antennes » changent quotidiennement, et les participant(e)s sont encouragé(e)s à changer de comité plusieurs fois au cours du Campement pour expérimenter directement les divers aspects de la pratique autogestionnaire collective. Ainsi, les rôles clés à l’AG sont relayés systématiquement chaque jour par le biais du processus de Suivi. Prises de parole et code gestuel en assemblée L’AG et les forums de discussion doivent s’opérer dans le respect mutuel des participant(e)s. Pour que le fonctionnement reste fluide et efficace, il est tacitement interdit de couper la parole d’autrui en assemblée. Pour s’assurer que les tours de parole soient respectés, les facilitateurs-trices tiennent un registre des personnes qui souhaitent intervenir dans l’assemblée et accordent la parole à chacun(e) en suivant l’ordre normal. Il peut arriver que cet ordre soit bouleversé et que les facilitateurs-trices accordent la parole en priorité à certain(e)s intervenant(e)s. Par exemple, pour contrer des déséquilibres naissants, on donnera plus volontiers la parole aux personnes qui ne se sont pas encore exprimées qu’aux personnes qui interviennent plus librement ou fréquemment. De façon similaire, on alternera systématiquement entre les hommes et les femmes dans un contexte où les hommes monopolisent ou polarisent les interventions, etc.* Pour simplifier la communication en assemblée, nous nous sommes également dotés d’un code gestuel éprouvé au fil des expériences. Essentiellement, le code gestuel sert à signaler un sentiment à l’assemblée sans prendre la parole.   Gestes et descriptions La recherche de consensus Les assemblées et forums du Campement sont des espaces inclusifs. Il n’est pas question d’y suivre ou d’y définir une idéologie dominante ou une ligne directrice, sinon d’y chercher ensemble les moyens de faire cohabiter des tendances idéologiques ou philosophiques variées, quoique complémentaires. La discussion et la délibération sont préférées à la résolution précipitée d’enjeux collectifs par voie de vote. En quelque sorte, la recherche de consensus est l’exercice par lequel s’échauffe le muscle démocratique du Campement. Conséquemment, il est très rare qu’un vote soit demandé autrement que pour cautionner un consensus imparfait. Si un vote s’avère nécessaire, au minimum 75 % des voix doivent appuyer une proposition pour qu’elle soit acceptée. Comités L’organisation du Campement est structurée par comités de travail. Ceci favorise la décentralisation des tâches en sous-ensembles, facilite la coordination et incite à l’intégration des nouveaux et nouvelles arrivant(e)s. L’AG désigne une « Antenne » pour chaque comité. Cette personne doit assurer la communication entre le comité et l’AG. Les « Antennes » tiennent des journaux de bord des tâches réalisées et des tâches à réaliser au sein de leurs comités respectifs. Le Suivi est davantage un processus en soi qu’un comité distinct. Les facilitateurs et facilitatrices d’assemblée, les « Antennes », les secrétaires et les « Gardien(ne)s du Ressenti » assurent quotidiennement la passation des responsabilités avec la nouvelle équipe désignée lors de l’AG. Le Suivi est donc assuré par un groupe différent chaque jour et non par un comité de coordination fixe. Cette structure permet que l’information ne soit jamais centralisée et que le processus de coordination soit le plus transparent possible. L’Infrastructure recoupe toutes les tâches et activités relatives à la gestion du site: travaux de construction, aménagements, maintenance, alimentation en électricité et en eau potable, etc. Cette année, en plus d’assumer la construction des structures temporaires, le comité était en liaison avec les partenaires du Mont Radar pour coordonner les activités de revalorisation du site, telles que l’aménagement des sentiers et d’une piste d’hébertisme, la réfection des bâtiments et le nettoyage des zones laissées à l’abandon. L’Accueil élabore et met en vigueur un système dynamique pour la réception des nouveaux et nouvelles. Chaque participant(e) doit se sentir bienvenu(e) sur le site et accepté(e) par la collectivité. Pour ce faire, le comité est constitué d’une équipe sédentaire (à la guérite d’entrée), chargée d’informer les nouveaux arrivants sur les modes de fonctionnement du Campement et les principes de base de la cohabitation, et d’une équipe nomade, chargée de les accompagner sur le site lors des tours guidés organisés trois fois par jour, ou entre les tours, dépendamment de la disponibilité. Le comité de Programmation gère l’agenda des activités proposées par les participant(e)s (ateliers, présentations, jeux, etc.). Ses membres sont chargés d’actualiser le babillard de la programmation en fonction des nouvelles activités proposées, des détails programmés à l’avance et des nombreux imprévus. Le comité Bouffe est responsable de la confection des trois repas quotidiens et du suivi de l’inventaire des aliments et condiments. Le comité doit également coordonner l’achat des denrées manquantes. Le comité de Santé et sécurité est constitué des campeurs et campeuses ayant reçu une formation reconnue en premiers soins. Ils ou elles interviennent en cas d’accidents ou de problèmes de santé. Le comité Santé et sécurité est en contact radio constant avec la cuisine, la guérite et le centre de communications en cas d’urgence. Le groupe de travail Médias et communications est chargé d’animer le centre de communications et de gérer le parc d’ordinateurs, le matériel de projection et le système de sonorisation. Le comité est aussi responsable de mettre à jour le site www.campementjeunesse.org, de diffuser l’information aux réseaux locaux et internationaux, et d’assurer les relations avec les médias. La création d’un numéro spécial de la revue Aube, portant sur le campement (que vous tenez actuellement entre vos mains), s’ajoutait au mandat du comité de communications. Le comité anime en outre des formations techniques en matière de gestion de contenu sur Internet, de manipulation du matériel informatique et des systèmes de projection et de sonorisation. Le comité Ménage (alias Les Boss des Bécosses) est responsable du nettoyage des sites du campement. Son mandat principal est de rappeler aux campeuses et campeurs que le ménage, lui aussi, doit être autogéré… La Trésorerie est responsable de l’élaboration et du maintien d’un système comptable transparent pour la gestion des entrées et sorties d’argent. L’équipe du Bar sert de la bière aux buveurs et buveuses de bière. * Lors du campement 2005, il a été évalué que l’équilibre hommes/femmes était généralement respecté, ce qui a rendu superflu l’application de mesures spéciales d’alternance.

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