Entre les branches de l’Arbre à Conte…

par Jean-David Morneau

Cornucopis, cornucopia! Par la barbe de cinq cent rois, Voici, voilà, pour toi et pour moi Que s’ouvre la porte Du grand royaume de la Parlotte… Là où les mots prennent vie Pour peu que dans nos oreilles on leur fasse un nid!

Le vent m’a dit, le vent m’a soufflé qu’il existe quelque part un arbre immense comme on ne peut en voir qu’en rêve. Peut-être pousse-t-il dans un désert-sans-nom, dans une île d’abondance ou peut-être même dans le centre de notre bonne vieille Terre… Les fruits de cet arbre sont de toutes couleurs et de toutes formes imaginables; tout le monde y trouve nourriture selon son appétit et son goût. On dit que personne n’a jamais vu cet arbre mais que tous peuvent se délecter de ses fruits de délices chaque fois qu’une histoire se raconte avec amour et simplicité. Car l’Arbre à Conte, généreux comme tous les arbres, nourrit tous les enfants, petits, moyens et grands, en dispersant à tout vent ses enchantements… C’est de ses fruits bien mûrs qui ont traversé le temps dont je veux parler maintenant. Pour ceux d’entre vous qui connaissent le grand pouvoir des contes, nul besoin de discourir longtemps… Pour ceux qui ouvrent une porte sur un monde inconnu, je dirai que le plaisir de découvrir peu à peu leur mystère et leur profondeur vaut bien que je n’en parle pas trop… Disons seulement qu’ils sont une nourriture nécessaire du dedans et que j’imagine difficilement un plus beau cadeau à faire à ceux qu’on aime. Alors, racontons! Pour entrer dans la danse douce et légère des histoires, il n’y a qu’un moyen qui vaille: il faut ouvrir la bouche et tisser un conte. Mais où, comment, par quel bout, de quel bord commencer? Holà, mais vous en avez des questions mes amis! Hé bien, sans qu’il s’agisse d’un mode d’emploi (quoi de plus ridicule pour enseigner la liberté!), je vous propose, pas à pas, une petite carte pour explorer par vous même les histoires portées par la voix… Choisir un fruit… Avant de raconter, cela va de soi, il faut avoir quelque chose à dire… Alors là, vous avez une alternative et deux choix: soit vous inventez vous-même une histoire, soit vous en cueillez une qui a beaucoup voyagé… C’est merveilleux de faire naître une histoire: si vous sentez que c’est votre voie, allez-y! Mais accueillir un petit pèlerin de mots, un conte de tradition orale, est une aventure magique sans pareille. Voyons voir comment s’y prendre… D’abord on se met en quête, on ouvre nos oreilles et nos yeux. On peut aller écouter des contes, si on a la chance d’avoir des conteurs à portée de main… On peut aussi, c’est plus commode, explorer des livres de contes (il en existe des milliers, vous avez le choix!), voguer librement à travers les pages qui sont le refuge de récits qui ne demandent qu’à être dits… On peut lire des centaines de contes, les trouver amusant ou émouvant, mais sans qu’ils nous chavirent vraiment. Mais un jour, voilà, on en trouve un qui nous regarde droit dans les yeux et qui nous dit «Raconte-moi, s’il-te-plaît!». Et nous voici subjugué par la beauté de ce Petit Prince que l’on n’attendait plus: c’est le coup de foudre! Dites-vous bien que la seule manière de savoir si l’on a trouvé notre histoire, c’est de se sentir pris par elle. C’est quelque chose de viscéral, d’instinctif, comme un grand frisson qui nous traverse le corps… Le cueillir… Une fois que la rencontre est faite, le travail peut commencer. Le conte, c’est un ouvrage d’artisan qui demande patience et lenteur. D’abord, il faut apprendre le conte, cela va de soi. Ce qui est moins évident, c’est qu’apprendre un conte c’est tout sauf du par cœur. Celui qui a écrit le conte l’a fait avec ses mots à lui, avec la logique de l’écriture : si vous voulez le raconter, il ne faut pas rester accroché à la page… Car lire ou réciter, c’est bien et c’est beau, mais c’est tout autre chose que de conter! On lit et on relit l’histoire pour bien comprendre ce qui s’y passe, saisir la trame de l’histoire. Ce qu’il faut arriver à extraire, c’est la substantifique moelle, le squelette, la structure narrative. Pour s’aider, on peut se poser des questions classiques: Qu’est-ce qui se passe? Dans quel ordre? Qui sont les personnages? Vous allez découvrir, si c’est un conte traditionnel, que votre histoire est très logique et que chaque élément s’enchaîne à merveille à celui qui le précède. Ce qui est important de mémoriser, c’est le «chemin du conte», le voyage qu’il nous fait faire à travers des événements. Pour vous aider à schématiser, il existe de nombreux moyens, voici quelques exemples : Résumer l’histoire en 13 mots clés, faire un diagramme de la succession des actions, dessiner les différentes étapes du conte… Le laisser mûrir… Une fois que l’on sent que l’on maîtrise suffisamment la trame de l’histoire, on ferme le livre. Allez hop! On le balance dans la bibliothèque car on n’a plus besoin de lui; à présent, c’est entre nous et le conte que ça se passe… Car ce petit être, si ancien et si neuf, il a besoin qu’on lui redonne la vie. Pour accomplir ce miracle, cette œuvre alchimique, il faut laisser le conte se déposer en nous, il faut lui ouvrir notre cœur et le nourrir de notre chair, de notre sang… Il faut du temps pour que grandisse en nous l’histoire, il faut bien la mâchouiller, la digérer. Pendant cette période, il est excellent de se faire notre cinéma, de s’amuser à voir le plus distinctement possible les images du conte; les lieux, les personnages... Plus on pourra avoir une vision claire de ce qui se passe, mieux on pourra le faire voir aux autres. Car le conte vit de mots, mais il est tissé d’images et c’est grâce à elles qu’il devient magique, hypnotique. On peut prendre des libertés face à l’original, faire des ajouts, changer des détails… Jouissons de notre liberté créatrice! Il faut toutefois être prudent car notre compagnon de route est un être délicat qui supporte mal les mutilations trop sévères. Une seule règle à suivre : écouter son cœur (pas très original, me direz-vous. Oui, mais ça marche!) Tranquillement, quand on se sent prêt, on peut commencer à dire le conte pour soi, avec nos propres mots, en le laissant venir comme il émerge. Ceci se fait à merveille en marchant dans la nature, en conduisant, en faisant la vaisselle (si vous croisez des gens qui parlent seuls, ne vous posez pas de question…). On va naturellement sentir où ça accroche, où l’on se sent moins à l’aise. Tranquillement, on se fait une voix, un style, des formules frappantes et vivifiantes, des voix de personnages… Il existe autant de manières de conter qu’il y a d’êtres sur cette planète (et peut être plus!). Vous avez une manière de dire, de respirer le conte qui est unique; laissez-la émerger en toute liberté! Le croquer…et le partager Le temps est venu, si le fruit est mûr à point, de l’offrir à ceux que l’on aime. C’est un grand moment, qui est toujours accompagné d’une légère excitation, d’une saine nervosité. Car ce n’est pas qu’une histoire parmi d’autres qu’on lègue, mais bien un bout de notre vie… Évidemment, si l’on souhaite être «parfait», on sera bien déçu : il y a encore des zones grises, des moments plus faibles, de l’amélioration à apporter dans la gestuelle, la voix, etc… Il est important d’être humble et de reconnaître ce qu’il nous reste à améliorer: on ne conte jamais une fois pour toute, comme lorsque l’on écrit et publie. C’est quelque chose qui est toujours à peaufiner, à polir doucement, lentement, patiemment… Goûtez avec fougue le moment de communion avec l’Autre qu’est l’acte de conter. Prenez le temps de regarder, de sentir les réactions de votre auditoire. On n’est jamais seul pour raconter ; le public le fait avec nous, il fait naître un instant de grâce par le partage d’un imaginaire, par une écoute active qui peut transformer le cours de l’histoire. Autant il est essentiel d’être en contact avec notre sensibilité lorsque l’on conte, autant il faut être à l’écoute de ceux qui sont devant nous. C’est un peu comme marcher sur un fil, en équilibre entre deux mondes, celui du dedans, celui du dehors… Certains disent que le conte est un art de la relation, que sa richesse réside dans la chaleur et la convivialité qu’il permet d’instaurer entre des gens qui ne se connaissent peut être pas. Il faut dire qu’aujourd’hui, plus que jamais, nous avons grand besoin d’être ensemble, unis, de toutes les manières possibles. Eh bien, le conte est, dans son essence, une fabuleuse rencontre! Voilà, maintenant que vous avec goûté de ces fruits délectables, il m’est d’avis que l’appétit vous reviendra sous peu. Dites vous bien qu’une fois que l’on sait un conte, on n’a plus le choix, il faut le conter! Car, comme le dit si bien Lucinda Schnitzer :«Qui est avare de son or est stupide. Qui est avare d’eau est criminel. Mais qui est avare de son don poétique n’a pas d’excuse.» Pour finir, je vous propose quelques idées pour ceux qui aimeraient expérimenter le délice d’inventer des histoires avec les enfants. Commencer avec une histoire connue et laisser la fin ouverte… *Choisir ensemble des personnages, les placer au hasard et broder là-dessus… *Faire un tarot des contes : on dessine des figures, des situations inspirantes et on distribue au hasard pour faire naître l’histoire. *L’histoire voyageuse : dans un groupe, quelqu’un commence l’histoire et passe la parole à la personne de son choix. *Raconter avec des objets : pour les plus petits, on sort de son sac à malice des marionnettes, des poupées, des figurines et on joue à faire naître un conte. *Chacun raconte à sa manière un fait divers (3 ou 4 lignes); on s’amuse de voir l’histoire se transformer…   Une petite bibliographie… Gougaud, Henri. L’arbre à trésor, Paris, Seuil, 1999. Renoux, Jean-Claude. Paroles de conteur, Aix-en-Provence, Édisud, 1999. De la Salle, Bruno. Le conteur amoureux, Tournai, Éditions Casterman, 1995. Gagnon, Cécile. Contes traditionnels du Québec, St-Amand-Montrond, éditions Milan, 1998. Lemieux, Germain. Les vieux m’ont conté, Montréal, Éditions Bellarmin, 1973 et suiv. (32 volumes publiés). Rodari, Gianni. en collaboration, Spinning tales, weaving hope. Stories, storytelling for peace, Justice and the Environment, Gabriola Island, New Society Publishers, 2002.

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