La présence de cercles non mixtes au sein du Campement

Durant le Campement, alors que les assemblées générales proposaient à chaque matin l’expérience d’un fonctionnement égalitaire dans les rapports de genre, un phénomène s’est présenté, soit la création d’espaces non mixtes. Cette idée a germé lors d’une rencontre mixte proposée sur le thème des alternatives menstruelles et contraceptives où une présence majoritairement féminine a permis l’émergence d’un lieu de partage et d’échange entre femmes. Cette rencontre ayant suscité beaucoup d’intérêt chez les femmes, il fut proposé de la poursuivre régulièrement durant le Campement. En assemblée générale, un participant a alors proposé de créer des espaces non mixtes pour les hommes et les femmes. La pertinence de ce type d’activité renvoie à l’organisation de la société, fragmentée en groupes sociaux influencés par des relations de pouvoir. L’histoire nous propose des pistes de réflexion quant aux origines et à l’évolution du concept de supériorité. En effet, mentionnons rapidement de quelle façon le sexisme s’est subtilement intégré complètement à notre mode de vie et où la science, la religion et la politique ont été utilisées pour ancrer ses fondements. Afin de comprendre les dynamiques actuelles, il importe de bien saisir notre passé pour se l’approprier adéquatement. Car le fait que la société ne fournisse pas l’espace nécessaire à la reconstruction d’un récit historique adapté contribue à reproduire des schèmes stéréotypés. Ainsi, en reconnaissant la présence d’une relation oppresseur/opprimé, on parvient à comprendre la dynamique qui fait que les échanges sont souvent structurés de façon inégalitaire. La création d’espaces réservés aux hommes et aux femmes cherche donc à renverser le rapport inégalitaire porté par notre bagage et qui prédomine dans nos groupes de façon naturelle. Leur existence permet de briser ces schèmes traditionnels en permettant à chacun-e de s’exprimer de façon libre et démocratique sur un sujet et de lui fournir l’espace nécessaire pour « s’affranchir » de cette vision aliénante des rapports hommes-femmes. D’après les commentaires recueillis suite aux cercles non mixtes, nous constatons avec surprise les bienfaits et l’équilibre émergeant du processus. Voici quelques propos qui ont été notés: « Un truc qui m’a fait tripper est que ça a touché les hommes. C’est un beau moment pour les femmes, un moment d’affirmation et d’éveil, mais pour les hommes, ça semble une révélation. » ─ Femme « C’est utile, ça fait ressortir la sensibilité des gens. C’est comme la pointe d’un iceberg, y a de quoi de gros en dessous. Y a pas une grosse culture de ça chez les gars. Ça brise l’idée que l’homme n’a pas d’émotions. Ça permet de parler des choses que l’on ressent et qui ne sont pas agréables. Certaines émotions sortent plus facilement, mais les sentiments qui sont plus intimes, ça sort moins bien. » ─ Homme « J’ai manqué une partie de la première discussion, mais j’ai été agréablement surprise de la réaction et de l’ouverture des gens par rapport à l’idée des cercles non mixtes. Ce qui est intéressant à noter est que le premier bout de discussion a été longtemps orienté à propos des menstruations et de la contraception, ce qui peut nous pousser à comprendre que ces sujets étant à la base du péché du déséquilibre, on ressent la nécessité pour les femmes d’en parler longuement et c’est en ce sens que ça devient pertinent et intéressant. C’est aussi une question d’affirmation de soi en tant que femme. » ─ Femme « C’était rafraîchissant, parce que c’était naturel. Même dans les milieux militants, de même que dans la société, ce n’est pas naturel. » ─ Femme « Parfois, c’est un peu tabou, parce que l’on prend pour acquis que les femmes ont gagné. On perçoit l’espace militant comme un espace libéré, on croit que les patterns n’existent pas, alors que la question est plus large et que c’est aussi soumis aux grandes tendances. Par exemple, la campagne médiatique du Campement a majoritairement été réalisée par des gars, on voit alors l’influence des schèmes sociétaires, même dans le processus du Campement. » ─ Femme « Le fait d’y participer peut faire tomber des préjugés et des tabous. Les gens se livraient et on pouvait se rendre compte que c’est intéressant d’écouter d’autres hommes parler de leurs émotions. Y avait de la confession et ce qui m’a surpris, c’est de la voir là. C’est la rencontre la plus respectueuse que j’ai vécue au Campement. À la différence de mes autres expériences non mixtes, on a parlé de nous et non pas des femmes. Ça nous permet aussi de comprendre la crise qui nous touche. Celle de la disparition de nos modèles, de la présence de ces stéréotypes qui nous balisent et nous définissent. J’aurais aimé avoir une discussion comme ça à dix-huit ans, j’aurais allumé sur un paquet d’affaires. Et puis, c’est des inconnus, donc on est forcé d’intégrer leur deux minutes d’intervention à leur vécu. On ne peut pas les juger ou juger leur histoire autrement qu’à travers soi. Y a un sentiment d’appartenance là. Le partage, la confession… c’est bon pour la guérison et la sensibilisation. » ─ Homme « Pour moi, c’était ma deuxième expérience au sein d’un groupe non mixte. Je n’ai jamais vraiment aimé les discussions entre femmes, alors que pour une fois, je me sentais sur la même longueur d’ondes que les autres, dans la dimension thématique et les échanges. Lors de mes expériences passées, je notais la présence de stéréotypes féminins comme l’hypocrisie et les ‘‘bitcheries’’, alors que le cercle a généré un espace de franchise, un espace libre de toute pression sociale. C’était enrichissant et en même temps, je vois le besoin d’un approfondissement, j’ai l’impression que nous n’avons qu’effleuré les sujets. Il y a des situations dans lesquelles je ne sais comment réagir et j’aimerais me doter d’outils en ce sens. Par exemple, lorsque je me fais regarder comme un morceau de viande, je ne sais pas comment réagir. Ces espaces pourraient aussi apporter une réflexion sur les outils, sur comment se sensibiliser et réagir. » ─ Femme « À quoi ça sert ? C’est un peu parce que les femmes le font. Pour leur rendre la politesse. Ça nous permet d’échanger autour des relations hommes-femmes. J’ai pas l’impression que ça me sert personnellement, mais peut-être qu’en en faisant deux ou trois… Je n’ai pas vraiment de discussion comme ça en gang de gars. Je constate que c’est rassurant d’être en réunion de genre, mais je me demande si ce n’est pas un problème en soi. Hormis les questions de sexualité, enfants et enfantement, menstruations et contraception, je suis surpris que les jeunes femmes soient si interpellées par ces rencontres. Et ces jeunes femmes du Campement ici sont très sensibilisées en comparaison de celles du reste de notre société. » ─ Homme « En grand groupe, c’est comme naturel que les gars monopolisent la discussion. » ─ Femme « Peut-être que la prise de parole s’accompagne de reconnaissance et c’est ce qui motive aussi le fait que les gens aient le goût de parler devant d’autres. Dans ces processus, la femme semble plus dans l’ombre. » ─ Femme « En même temps, cette idée que l’homme représente davantage l’autorité est à revoir. » ─ Femme « Justement, lors du cercle non mixte, il avait été question de cela, du fait que certains hommes auraient peut-être été mieux dans le cercle des femmes et vice-versa. Lorsqu’il est question de rapport inégalitaire au sein des groupes, certaines femmes ne se sentent pas concernées, puisqu’elles ne vivent pas cette problématique, alors ne la perçoivent pas nécessairement. C’est peut-être aussi pour cela que le sujet des menstruations est rassembleur, car il touche l’ensemble des femmes autour d’une spécificité. » ─ Femme « Dans l’idée de l’ouverture de soi des participant-e-s, c’est rassurant de voir des gars qui parlent de leurs faiblesses. Et par rapport à l’assemblée générale, où les gars sont bons pour parler du technique et de problèmes extérieurs, ils découvrent une facette moins facile à exprimer. » ─ Homme « Moi, c’est une expérience qui me permet d’apprendre à m’exprimer, de me mettre à nu face à des gens. Ça renforce les liens et développe la complicité. Ça permet aussi de mieux comprendre et vivre les relations hommes-femmes dans une optique féministe, avec l’idée et la perspective du sexisme en tête. » ─ Homme

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